Faire de Scotstown le centre du monde

S’il fallait une preuve de plus, la voici : le texte de la pièce Scotstown, mis au monde par le dramaturge Fabien Cloutier, a bel et bien une portée universelle. Et la toute première livraison, la semaine dernière, dans le cadre du festival atypique Zoofest, de sa traduction en anglais, en a, sans surprise, fait une éloquente démonstration.
Sur la scène, dans un décor plus que minimaliste composé d’une chaise pliante rescapée des années 60 et d’une cannette de bière, « format quille », le comédien francophone Hubert Proulx porte désormais ce récit du « chum à Chabot » qui, tout en cherchant à retrouver son pote, finit par se dévoiler dans un parler rustique et rugueux, mais également dans la narration de ses mésaventures dans un bar de Montréal, lors d’une fin de semaine de brosse à Saint-Bernard de Beauce ou d’une fête de village dans un parc. Il est question d’une fascination pour les « p’tites grosses », « d’importés », de sculpture sur glace, de Russes, d’un chien qui se « liche » les coucougnettes, mais surtout d’un gars de région, ben ordinaire et pas très méchant, perdu dans ses préjugés, dans son identité composite tout comme dans les limites de sa pensée et que le rocambolesque de son quotidien va finir un peu par éclairer.
Dans la langue de Sarah Palin et George W. Bush, deux créatures qui partagent avec celle mise au monde par Cloutier un esprit obtus similaire et une binarité désolante dans leur vision du monde, la même efficacité narrative s’installe, aidée par un Hubert Proulx qui en une heure trente ne cherche pas à faire de son personnage un anglophone patenté, mais avant tout un « Queb », comment disent les Anglos, francophone des alentours de Mégantic racontant son histoire en anglais, avec des aptitudes langagières relevant du populaire, des hésitations et quelques sacres lâchés ici et là, comme pour inscrire, sans le vouloir, son ego dans un terroir.
Les images inscrites dans le texte original restent malgré tout très fortes, transportant du coup, avec la même poésie improbable, un peu plus loin dans une autre sphère culturelle, la critique sociale sur l’obscurantisme, sur le rejet de l’autre, sur la morale, sur le conformisme, sur le respect, sur l’insoutenable légèreté de l’être et la douleur d’exister dans le vide, dont elles tracent méthodiquement les contours. Avec une finesse et une intelligence pas tant cachées que ça dans cet amas de paroles qui tente de faire croire qu’il est mal dégrossi.
Dans la salle, rires et exclamations apparaissent quasiment aux mêmes endroits, en suivant un rythme forcément différent qu’Hubert Proulx tient parfaitement en main et auquel il donne une tonalité nouvelle, mais finalement pas très éloignée de celle imposée par le créateur, Cloutier lui-même, lors des premières représentations de cette pièce en français, entre les murs de La Licorne à Montréal. C’était en 2005.
Le tout façonne une transposition réussie de Scotstown, dans cette autre langue qui ne fait, au final, que suivre le relief d’un texte porteur d’une profonde humanité, d’une dimension fédératrice et qui, dans le contexte, révèle désormais un nouveau paradoxe : c’est par la victime évidente d’un repli identitaire que la dramaturgie contemporaine du Québec s’ouvre ici sur un autre monde et l’amène hors de ses clôtures habituelles. Brilliantly amazing, indeed !