Un 11-Septembre ici ou ailleurs

La plume de Neil LaBute, cinéaste, scénariste et dramaturge américain, ne trempe pas dans les eaux d’un spa. Ses intrigues et ses personnages non plus. Le 11 septembre, New York est à deux doigts de crouler sous la poussière blanche, mais plutôt que de se rendre au travail, Ben bifurque chez Abby (sa maîtresse et patronne). Alors qu’elle lui fait une fellation qui le propulsera au ciel, l’impact meurtrier plonge l’Amérique dans l’enfer.
Campée au lendemain de la tragédie, Tombé du ciel offre la vision des eaux troubles qui s’agitent au coeur d’un homme, préoccupé par son sauvetage personnel, et d’une amoureuse dont les doutes sont aussi indivis que son condo. L’« être ou ne pas être » shakespearien se détache des abysses existentiels et cède le pas au très narcissique « être ou ne pas être en vie » qui permettrait à Ben d’échapper aux obligations familiales et domestiques pour envisager une nouvelle vie. Un huis clos amoureux qui met à nu la noblesse des intentions et les sensibles questions d’intégrité et de moralité.
Les personnages de LaBute sont complexes, et les dialogues qu’il leur prête n’ont rien de simpliste. La finesse de la construction dramatique de la pièce repose sur le jeu et le rythme, qui opèrent entre les acteurs, et exigent une interprétation naturaliste, terriblement quotidienne, qui témoigne de ce qui lie l’un à l’autre les protagonistes. Impossible de jouer les Ben et Abby si on ne parvient pas à s’abandonner le plus authentiquement possible à ce que les couples du genre vivent depuis des années. Davantage encore quand la déroute de l’intime s’élabore sur fond de drame collectif.
Christian Michaud et Sophie Dion sont ici dans un duel-duo d’acteurs exigeant, et leur interprétation témoigne de la maturité et de l’expérience, de la capacité qu’ils ont de faire de ce fil précaire, sur lequel ils progressent, une crédible tour de Babel homme-femme, tant sur le plan des amours clandestines ou des relations de pouvoir au travail que des travers individuels.
C’est sur cet axe que s’est édifiée la mise en scène de Frenette, avec l’intention de faire de ces deux êtres un bassin où trouver plusieurs reflets des failles humaines. Mouvements, silences, regards, fixité, art de la repartie vive et assassine, abattement, doute et colère, corps-à-corps langagier ou proximité charnelle, tout s’orchestre autour de la justesse et de l’équilibre. Une direction d’acteurs précise, qui mise sur l’effacement des traces de la mise en place, sauf pour le dernier mouvement d’Abby vers le téléphone qui, s’il ne détonne pas, en constitue une.
Le choix de la pièce de LaBute s’inscrit dans la volonté qu’a Niveau Parking de convier le spectateur à découvrir des textes solides, des jeux nuancés, dans un espace sobre où recréer le théâtre de l’intime. Une initiative prometteuse qui fait de Tombé du ciel une rencontre réelle entre eux, nous, soi et les autres.
Collaboratrice