Quand la magie opère

Si tout le reste de l’histoire nous atteint, c’est d’abord et avant tout parce qu’on croit dur comme fer aux aventures de Chaffik et Judith, parce qu’on est totalement happés par la quête de ce couple d’amoureux qui exprime à lui seul tout le Québec du XXIe siècle.
Photo: Erick Labbé Si tout le reste de l’histoire nous atteint, c’est d’abord et avant tout parce qu’on croit dur comme fer aux aventures de Chaffik et Judith, parce qu’on est totalement happés par la quête de ce couple d’amoureux qui exprime à lui seul tout le Québec du XXIe siècle.

Impossible de formuler envers Coeur ne serait-ce qu’un seul des reproches adressés à Pique. Le deuxième volet de la tétralogie de Robert Lepage est une réussite sur toute la ligne. Soyons clairs, ce spectacle est l’occasion de renouer avec un grand créateur, celui qui nous a donné La trilogie des dragons, celui qui pour nous émouvoir n’hésite pas un seul instant à remuer ciel et terre, à jeter des ponts somptueux entre les époques et les continents, la comédie et la tragédie, l’art et la politique, le trivial et le grandiose.

 

En effet, loin des clichés reconduits et des parallèles maladroits de la première partie, loin des nombreux et inutiles changements de décor, la deuxième portion du cycle, substantielle, et précisons-le totalement autonome d’un point de vue narratif, s’appuie sur de bouleversantes correspondances entre les destins de cinq générations de personnages, un procédé de télescopage temporel qui a fait la renommée internationale de Lepage et qui opère ici de manière irrésistible.

 

Sur la ligne du temps, il y a quelques grandes figures, comme Jean-Eugène Robert-Houdin l’illusionniste, Nadar le photographe et Georges Méliès l’enchanteur, mais il y a aussi des anonymes, des hommes et des femmes que l’histoire a impitoyablement contraints à l’exil, soumis à la torture, forcé au parjure.

 

En ce sens, le spectacle est un hommage senti non seulement au cinéma, au rêve et à la magie, mais également aux victimes des conflits qui ont meurtri la France et l’Algérie à la fin du XIXe siècle et dans les années 1960. Devant cette histoire de quête des origines, certains ne pourront s’empêcher d’établir quelques correspondances avec l’univers de Wajdi Mouawad. L’analogie est incontestable, mais jamais gênante.

 

Bien que certains comédiens aient encore un peu de peine à se mettre leur texte en bouche, ils défendent tous avec conviction des protagonistes fort attachants. Les personnages contemporains sont particulièrement bien campés. D’origine magrébine, né à Limoilou, élevé dans un amour manifeste par son père et sa grand-mère (fascinante Kathryn Hunter), Chaffik (le trop rare Reda Guerinik) va tout quitter pour faire la lumière sur le trouble passé de sa famille.

 

Née d’un père australien et d’une mère gatinoise (Louis Fortier, désopilant et toujours juste), dans un milieu pour le moins conservateur, Judith (impeccable Catherine Hughes) a choisi de désobéir à ses parents et d’enseigner le cinéma à l’Université Laval, autrement dit d’écouter son coeur.

 

Si tout le reste de l’histoire nous atteint, c’est d’abord et avant tout parce qu’on croit dur comme fer aux aventures de Chaffik et Judith, parce qu’on est totalement happés par la quête de ce couple d’amoureux qui exprime à lui seul tout le Québec du XXIe siècle. Projections, apparitions, tours de magie et séance de torture, les rouages de la machine tournent durant 3 h 30 dans le sens du récit et de l’émotion. Rien ne semble superflu, chaque tableau a sa place, chaque image a son rôle. En somme, voilà un rendez-vous qu’on vous souhaite ardemment.


Collaborateur

À voir en vidéo