La dématérialisation d’un mythe

Il y a des mythes qui se déboulonnent et d’autres qui se dématérialisent avec faste, gros déploiement technologique, et surtout cette grande assurance qui fait que, parfois, l’on s’approche un peu trop du soleil, puis l’on sombre.
Voilà le sort à propos réservé à Icare, fils de l’architecte Dédale, qui, depuis la semaine dernière, voit son univers revisité sur les planches du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) à Montréal. Le célèbre duo de créateurs d’effets visuels Michel Lemieux et Victor Pilon est derrière tout cela, avec la complicité du dramaturge Olivier Kemeid, au texte.
Sous la houlette de ce trio, Icare, avec une détermination naïve parfaitement incarnée par Renaud Lacelle-Bourdon, se retrouve ici au coeur d’une forêt au contact d’un père en retraite (Robert Lalonde) s’étant donné pour mission de construire une cabane. Il y a une cantatrice chantant délicatement sa mythologie en grec dans le texte. Il va y avoir aussi de petites tensions, des complicités, l’expression d’un idéalisme, le souvenir d’une mère disparue, celui d’un apprenti et surtout une mécanique visuelle redoutable qui, à grands coups de projections et de présence holographique, complète l’assemblage de ce récit séculaire, métaphore de la faiblesse humaine, des dérives de l’ambition et de la témérité.
Le résultat est forcément spectaculaire, avec ces personnages en chair et en os, en interaction avec des âmes pixelisées en trois dimensions. Pascale Bussières, en mère malade, et Maxime Denommée, en apprenti au talent insolent, entrent dans cette catégorie. L’esthétique est rigoureuse, précise, calculée occupant l’espace scénique avec subterfuge et débordement, sans toutefois écraser les acteurs qui se retrouvent ici en symbiose presque parfaite avec leurs multiples dimensions.
Difficile par contre d’en dire autant de la poésie, de la magie et de l’émotion qui, dans cet environnement conceptuel lourd, peinent en une heure trente à trouver aisément leur chemin au milieu de cette masse imposante et constante d’effets visuels et sonores. Le beau manque de substance. La persistance et le mouvement dans l’espace d’un trait virtuel projeté surprennent, mais n’attendrissent pas. L’exubérance ne trouve pas toujours sa justification.
Étrangement, tout ce déballage n’ennuie pas, abreuvant même les yeux avec efficacité et originalité, au point donc d’induire dans le cerveau un paradoxe prévisible donnant l’impression d’avoir toujours faim après avoir trop mangé.