Château de cartes

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les cartes à jouer qui ont servi de déclencheur à la nouvelle fresque de Robert Lepage. Le véritable point de départ de Jeux de cartes, cela ne fait pas de doute, c’est la scène circulaire. C’est d’elle que tout émerge, au propre comme au figuré. Malheureusement, alors que la contrainte a poussé le metteur en scène et son scénographe Jean Hazel à inventer une ingénieuse machinerie, la dramaturgie de PIQUE est loin d’être à la hauteur du dispositif.
L’action de ce premier volet de la tétralogie se déroule à Las Vegas en 2003. Pendant 2 h 25, six comédiens surgissent de sous le plateau pour prêter vie à cette faune bigarrée qui fréquente le « Strip » comme d’autres une oasis. Dans ce microcosme, comme Lepage les aime, on croise notamment un mystérieux cowboy, un Indien guérisseur, une prostituée redoutable, un homme d’affaires torturé, un couple de Québécois désassortis et des femmes de chambre mexicaines sans papiers. Partout l’argent, la dépendance, le désespoir, la sexualité… On connaît la chanson. Rien de neuf sous le soleil cruel du Nevada.
Pour le plaisir des yeux, on peut compter sur le déploiement des éléments de décor sur 360 degrés, le genre d’évocations à la fois simples et brillantes dont le metteur en scène a le secret. Depuis plusieurs trappes, grandes et petites, Lepage parvient à faire surgir un bar, une table de poker, un spa, une chambre d’hôtel, et même une tempête dans le désert. Reste que les apparitions provoquent plus d’admiration que d’émotion, que les transitions entre les tableaux paraissent plus habiles que poétiques.
Le théâtre « cinématographique » de Robert Lepage nécessite une séduction par les images, bien entendu, mais aussi, et peut-être même surtout, une adhésion aux destins des personnages. Bien qu’il ne s’agisse que du premier quart d’une fresque qui totalisera probablement une dizaine d’heures de spectacle, il demeure que les personnages de PIQUE sont esquissés, caricaturaux, engoncés dans les clichés. Leurs drames ne nous atteignent que bien peu. Disons qu’ils sont encore loin de susciter autant d’empathie que les protagonistes de Lipsynch.
Heureusement, pour pimenter quelque peu l’action, on peut compter sur le fait que non loin des hôtels de luxe et des tables de jeu se trouve une base militaire où des soldats de l’armée américaine s’entraînent — avec des acteurs hollywoodiens ! — à vaincre les Irakiens. C’est sûrement l’aspect le plus intéressant du spectacle : ces parallèles entre les jeux du hasard et ceux de la guerre. Le divertissement et le militaire, voilà bien deux industries purement américaines, les deux facettes d’une même médaille, un même mirage dans le désert.
Alors que Lepage a beaucoup fouillé les symboles de l’orient, on se réjouit de le voir se pencher sur les mythes de l’Amérique. Gageons que c’est précisément sur ce territoire-là, et avec plus de profondeur dans les enjeux, que reprendra le prochain volet de la tétralogie, COeUR à l’affiche de la Tohu à compter du 30 janvier.
Collaborateur