Théâtre - Un bon match nul

James Long et Marcus Youssef ne s’encombrent pas de personnages, laissent place à l’improvisation et s’enfoncent dans le territoire dangereux de la remise en doute des valeurs et de la dénonciation des contradictions de celui d’en face.
Photo: Simon Hayter James Long et Marcus Youssef ne s’encombrent pas de personnages, laissent place à l’improvisation et s’enfoncent dans le territoire dangereux de la remise en doute des valeurs et de la dénonciation des contradictions de celui d’en face.

Winners and Losers débute sur un ton badin ; le titre renvoie à un petit jeu d’éloquence auquel se livrent les acteurs Marcus Youssef et James Long afin de déterminer si des figures comme Pamela Anderson, le Mexique ou encore le four à micro-ondes figurent du côté des gagnants ou des perdants. Le public se laisse gagner, on rigole, les jugements réducteurs fusent, sans nuance.


Évidemment, dès que la question « Mais qui es-tu, toi, pour affirmer ceci ? » est posée, dès que le premier « On sait bien, toi… » est lâché, la conversation dérape, inéluctablement.


La frontière entre fiction et réalité reste floue dans cette coproduction entre les compagnies vancouvéroises Neworld Theatre et Theatre Replacement qu’accueille jusqu’à ce mercredi soir le Festival TransAmériques. Dans ce même Espace Libre, les regrettés Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel s’étaient livrés à un affrontement ambigu du même genre, confrontant leurs visions du théâtre et de la vie par le biais d’alter ego dans Tête à tête (1994). Long et Youssef ne s’encombrent pas de personnages, laissent place à l’improvisation et s’enfoncent dans le territoire dangereux de la remise en doute des valeurs et de la dénonciation des contradictions de celui d’en face.


On aura beau se livrer à un peu de ping-pong par ici et de lutte gréco-romaine par là, la joute se situe ici essentiellement dans les mots : « We’re just talking, right ? », demande l’un des protagonistes. Impossible d’ignorer ici la mise en valeur d’une véritable performativité de la parole : les actes de langage - insinuer, remettre en doute, accuser - sont autant de coups portés au corps. Celui de Youssef s’agite de plus en plus nerveusement, celui de Long se raidit progressivement jusqu’à sembler de fer.


Au final, une fois qu’on aura bien gratté les origines ethniques et économiques et la validité des engagements communautaires et familiaux de chacun - oui, ça devient aussi sale que ça -, au final, donc, il n’y a évidemment pas de gagnant. « Us ? There’s no us ! », en vient à répondre rageusement Long à son « ami ». Illustration de ce glissement des idées vers le vécu qui menace de stérilité tout débat ? Peut-être. Mais on sort surtout de Winners and Losers comme d’une confrontation sportive au score nul : impressionné, diverti, exténué, sonné par la violence de certaines attaques, mais toujours conscient malgré tout de la nature un peu artificielle de l’exercice.


 

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