Jovette Marchessault 1938-2012 - La dernière traversée


	Jovette Marchessault en 1983
Photo: Télé-Québec
Jovette Marchessault en 1983

Elle portait la voix des femmes, voulait écrire leur histoire. L’artiste québécoise Jovette Marchessault, écrivaine, sculpteure, peintre autodidacte et féministe, est décédée le dernier jour de 2012 à l’âge de 74 ans.

« Elle m’a appelée fin novembre pour me dire adieu, elle savait qu’elle s’en allait », a confié au Devoir la femme de théâtre Pol Pelletier, qui incarnait encore au printemps un texte de Mme Marchessault, La pérégrin chérubinique, dans le cadre du Festival TransAmériques. En décembre, la metteure en scène et comédienne charismatique organisait l’événement « Les présences de décembre », rendant hommage à deux piliers du mouvement des femmes mortes pendant ce mois, Hélène Pedneault et Louky Bersianik. Une autre vient de s’ajouter.


« Seigneur, seigneur, ne me laissez pas mourir en plein midi, toute nue loin de mes amis. Si vous voulez ma langue, je vous la donne. J’irai par les chemins et je raconterai ces histoires brûlantes qui résonnent dans le fond de mon crâne quand les bronzes s’éveillent. » Entonnée par Pol Pelletier lors de l’entrevue avec Le Devoir, la langue poétique de La pérégrin chérubinique ne se fait plus seulement mystique, mais prémonitoire.


Pour la comédienne, qui révérait le travail de Jovette Marchessault et déplorait qu’il soit si méconnu, cette dernière est morte « de solitude et d’abandon », dans sa maison de Danville dans les Cantons de l’Est où elle s’est établie il y a 30 ans, plus que de maladie ou de vieillesse. « Son oeuvre est un immense hommage aux femmes, résume-t-elle. C’est pour ça qu’elle a été oubliée, balayée, parce qu’au Québec, on est un peuple qui tue ses femmes. »


« C’est parmi les plus beaux textes que j’ai interprétés au théâtre », confiait pour sa part Andrée Lachapelle, à Radio-Canada mardi. La comédienne a joué dans quelques-unes de ses pièces, dont La saga des poules mouillées au Théâtre du Nouveau Monde en 1981. Sur le fil Twitter, l’actrice Louise Latraverse évoquait un « Souvenir mémorable d’Anaïs dans la queue de la comète [joué] au Quat’Sous en 85 ».


Il aura fallu attendre l’ouvrage de deux universitaires américaines - L’imaginaire littéraire et artistique de Jovette Marchessault, de Celita Lamar et Roseanna Dufault, paru aux Éditions du remue-ménage en 2012, pour rappeler l’oeuvre littéraire à la mémoire et l’analyser en profondeur. D’ailleurs, le collègue Alexandre Cadieux a pu mesurer lors d’un récent colloque à quel point l’auteure québécoise est beaucoup plus étudiée dans les universités de l’autre côté de la frontière, dans les départements de « gender studies ».

 

Artiste autodidacte


Née à Montréal en février 1938, Jovette Marchessault est issue d’un milieu ouvrier modeste. Elle abandonne l’école pour travailler dans une usine de textile dès l’adolescence, où elle côtoie des femmes modestes de tous les horizons.


À l’aube de la trentaine, la mort de sa grand-mère la pousse à abandonner ses menus métiers pour entreprendre une traversée « initiatique » des Amériques à la fin des années 1950, qui teintera ses écrits par la suite. Mais c’est d’abord aux arts visuels qu’elle se consacre. Dans les années 1970, elle présente ses fresques, masques et sculptures dans le cadre d’une trentaine d’expositions en solo au Québec, à Toronto, à New York, à Paris et à Bruxelles.


« Elle faisait des espèces des grands personnages qu’elle appelait des femmes telluriques avec des morceaux de plywood parce qu’elle était très pauvre », raconte Pol Pelletier.


Parallèlement à ses oeuvres plastiques, l’artiste autodidacte ajoute la plume à sa palette. En 1975, elle publie le premier volet de la trilogie romanesque Comme une enfant de la terre ; Le crachat solaire lui vaudra le prix France-Québec en 1976.


La voix de Jovette Marchessault occupera ensuite la scène des théâtres, grâce notamment à Pol Pelletier, qui monte en 1979 Les vaches de nuit, au Théâtre expérimental des femmes, ancêtre de l’actuel Espace Go. S’ensuivent La saga des poules mouillées (1981), La Terre est trop courte, Violette Leduc (1981), Anaïs dans la queue de la comète (1985), et Le voyage magnifique d’Emily Carr, qui lui valut en 1992 le prix du Gouverneur général dans la catégorie théâtre.


Elle livre aussi Triptyque lesbien (1980), qui résonnera tant chez les francophones que les anglophones, Le lion de Bangor (1993) et Madame Blavatsky, spirite (1998). L’auteure a également collaboré à plusieurs publications, dont Le Devoir, les magazines La Vie en rose et Châtelaine, et la revue La Nouvelle Barre du jour, en plus de mener une charge de cours en théâtre à l’UQAM.


« Elle a écrit des pièces avec les personnages de Gertrude Stein, Ernest Hemingway, Anaïs Nin, rapporte encore Pol Pelletier. Elle avait un don : elle allait chercher des vies de femmes excitantes, triomphantes, déchirantes aussi. Elle devenait les personnages. »


Féministe dans l’âme autant que le verbe, Jovette Marchessault voulait réhabiliter « l’imaginaire violé » des femmes qui évoluent souvent dans l’ombre des hommes, comme le dit le personnage de Renée Vivien dans Alice et Gertrude, Natalie et Renée et ce cher Ernest, créée à l’Atelier continu en 1984. Ses pièces s’attachaient à révéler une écriture et une histoire propres au deuxième sexe.


« Elle a voulu faire découvrir le langage des femmes pour remettre à l’honneur [leur] parole et [leur] esprit », comme l’affirmait si justement la comédienne Andrée Lachapelle. Ultime traversée littéraire qui s’achève, mais dont le souffle profond, ancestral, lui survivra.

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