Le festival du combat social

Combattre. Résister. Réfléchir. Voilà les mots d’ordre qui sous-tendent la programmation de ce sixième Festival TransAmériques, événement international de danse-théâtre-performance dont la programmation est particulièrement cohérente cette année. Ancrée dans l’air du temps, enivrée par le parfum de révolte qui embaume le monde arabe et l’Occident, elle met à l’affiche des artistes qui ont choisi de faire de la scène un espace de dissidence. Guerre en Irak, guerres civiles en Yougoslavie, bouleversements dans le monde arabe, écrasante Société du spectacle, effritement de la spiritualité et aliments modifiés génétiquement sont autant de réalités scrutées par ces artistes tenaillés par l’urgence de dire.
Ainsi se croisent dans cette édition différentes paroles marquées par le désir de combattre une réalité décevante, souvent déshumanisée. La guerre, d’abord, à laquelle s’attaque de plein fouet le metteur en scène irakien Mokhallad Rasem dans Irakese Geesten, comme le fait Olivier Frljic dans Maudit soit le traître à sa patrie. Puis, la révolte du peuple contre un système injuste, dépeinte par la compagnie italienne Motus dans Alexis una tragedia greca et Too Late (Antigone) Contest #2, ou par le Marocain Taoufiq Izeddiou dans Aaléef et par la Québécoise Annabel Soutar dans le docu-théâtre Seeds. L’aliénation culturelle dans laquelle nous emprisonne le monde du spectacle est scrutée par Olivier Choinière dans Chante avec moi et par Pavol Liska et Kelly Copper dans Life and Times épisode 1. D’autres, comme François Chaignaud dans (M)imosa, Mélanie Demers dans Goodbye et Emmanuel Schwartz dans Nathan, explorent des questions d’identité en bousculant la représentation. Les autres cherchent dans le théâtre et la danse un espace sacré, comme Pol Pelletier qui redonne vie aux mots mystiques de Jovette Marchessault dans La pérégrin chérubinique, ou Anne Teresa de Keersmaeker, dont les pièces Cesena et En attendant montrent des corps gracieux se mouvant sur une musique médiévale aux résonances spirituelles.
Castellucci et le fils de Dieu à Montréal
Au rayon de la spiritualité et de la remise en question de la foi, l’inclassable metteur en scène italien Roméo Castellucci est très attendu avec Sur le concept du visage du fils de Dieu, événement phare du festival. Précédé d’une controverse parisienne impliquant des groupes chrétiens traditionalistes offusqués par l’utilisation de l’image du Christ, la mystérieuse pièce de Castellucci propose un dialogue croisé entre le portrait de Jésus en arrière-plan et une touchante mais pénible scène d’indignité humaine sur le plateau.
« Je leur pardonne parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font », a dit Castellucci à la presse française, reprenant à son compte les sages paroles du Christ lui-même. Au bout du fil, il précise : « Je voulais mettre en évidence le fait qu’ils ont toujours refusé de regarder le spectacle. Il n’y avait aucune possibilité de dialogue avec ces gens d’extrême droite et antisémites, dont l’action s’inscrivait d’ailleurs dans un contexte politique précis, quelques semaines avant les élections présidentielles. »
Ceux qui ont vraiment vu Sur le concept du visage du fils de Dieu savent d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un spectacle iconoclaste destiné à souiller l’image de Jésus. Hyperréaliste, la scène montre un fils nettoyant patiemment son père souffrant d’une incontrôlable crise de dysenterie. Certes, devant une situation aussi ignoble, on se demande si Dieu est mort. Mais la pièce demeure auréolée de mystère, ouverte aux réflexions les plus diverses.
« Le visage de Jésus, poursuit le metteur en scène, est une image ouverte à des interprétations théologiques, psychiques ou politiques. Quand on a joué à Athènes, les enjeux historiques et la question de la transmission réveillés par mon spectacle ont été davantage commentés que la question de la foi. »
Pas de mal à le croire. Le sens de cette pièce est d’ailleurs à trouver dans un jeu de correspondances et d’interrelations. « Le spectacle expose les contradictions entre beauté et laideur, dignité et indignité, foi et perte de foi, plein et vide, sale et propre. Il s’articule aussi selon une certaine géométrie du regard, une sorte de triangulation. Le spectateur est voyeur, attentif à une scène qui lui est normalement cachée. Mais il est aussi observé, en tout temps, par ce visage de Jésus. »
Les Montréalais iront s’en faire leur propre idée dès le 31 mai. En attendant, le FTA s’ouvre ce soir sur une chorégraphie de Guilherme Botelho, Sideways Rain, dans laquelle les corps courent, tombent, se relèvent et s’essoufflent, évoquant la grande marche d’une humanité qui ne s’arrête jamais. Un départ à la vitesse grand V.
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Collaborateur