Festival d'Avignon - Doubles inversés et destins croisés

Le Devoir à Avignon

On a déjà vu le travail du metteur en scène néerlandais Guy Cassiers à Montréal dans le cadre du Festival TransAmériques — on se souviendra de son remarquable Rouge décanté présenté à l'Usine C en 2007. C'est un homme rigoureux, à la fois inspiré et systématique dans son approche du théâtre... et c'est exactement ce que l'on peut dire de cette vaste fresque historique, Sang & Roses, présentée dans la Cour d'honneur du Palais des papes.

Sang & Roses raconte le cheminement parallèle et les destins croisés de deux figures légendaires dont la présence est bien inscrite dans l'histoire: Jeanne d'Arc et Gilles de Rais, comme le précise d'ailleurs le sous-titre («Le Chant de Jeanne et Gilles») du texte de Tom Lanoye. Ce qui frappe d'abord dans cette production gigantesque dont on a dû éliminer l'autre soir un des éléments scénographiques les plus spectaculaires à cause du Mistral — le vent glacial malmenait dangereusement un immense panneau formé de 160 carreaux de métal sur lesquels on projetait des images et les sous-titres du texte donné en néerlandais et il a fallu le descendre —, c'est sa rigueur et son classicisme. Conçue comme un diptyque, la pièce raconte d'abord l'histoire de Jeanne, de son arrivée à la cour du dauphin jusqu'à sa mort sur le bûcher, puis celle de la chute de Gilles de Rais, qui n'a jamais pu se remettre d'avoir laissé mourir la Pucelle, jusqu'à sa mort par le feu lui aussi.

Deux personnages fascinants, extrêmes.

Le texte de Lanoye et la mise en scène de Cassiers semblent avoir été conçus l'un pour l'autre, comme Jeanne et Gilles. Ils mettent d'ailleurs en relief de façon presque trop parfaite le lien qui unit les deux personnages; c'est un peu le seul reproche que l'on peut faire à ce spectacle grandiose et classique dans sa forme qui a été conçu pour ce lieu exceptionnel qu'est le Palais des papes, dans lequel il prend une résonance particulière. Plus la pièce se déploie, plus la démonstration s'étale, plus Gilles se présente comme le double inversé de Jeanne tellement son côté noir et diaboliquement pervers fait ressortir la lumière qui baigne la pucelle d'Orléans...

Les comédiens sont tous unanimement efficaces et jouent des rôles différents dans les deux parties du diptyque sauf Johan Leysen, l'interprète de Gilles de Rais, qui lui se démarque de façon exceptionnelle par le caractère sombre et la dimension troublante qu'il sait donner à son personnage. Du côté de la scénographie, on ne peut qu'être frappé par l'utilisation intelligente des caméras et des écrans, de même que par la conception des costumes qui parviennent à faire saisir à quel point tous ces personnages historiques sont liés et sont toujours, d'une façon ou d'une autre, complices les uns des autres.

Comme si tout cela avait changé...

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