Théâtre - Un bonheur virtuel
Sauf erreur, les nouveaux auteurs québécois qui voient leur premier texte créé sur la scène du Rideau Vert sont rarissimes. D'où les attentes peut-être excessives dont on serait porté à investir la pièce de Pier-Luc Lasalle, fraîchement diplômé de l'École nationale de théâtre. Sans nécessairement accomplir les ambitions de son jeune auteur, Construction révèle en tout cas une plume assez alerte et une certaine acuité d'observation.
***Construction
Texte de Pier-Luc Lasalle. Mise en scène de Daniel Roussel. Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu'au 19 avril.
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Cette comédie dramatique est bâtie notamment sur le décalage existant entre l'apparence du bonheur et la réalité. Une vérité imparfaite que les personnages tentent de cacher, d'abord à eux-mêmes. Lucie (Hélène Bourgeois Leclerc) et Philip (Vincent-Guillaume Otis) viennent d'acheter leur première maison. Leur nid en banlieue recèle tout le confort voulu, mais les relations familiales sont minées par un malaise, depuis que Lucie a quitté Thomas (Jean-Moïse Martin) pour tomber dans les bras de Philip, son... frère.
Très ancré dans son époque, truffé de concepts à la mode (feng shui, OGM, etc.), Construction dépeint un univers où les apparences et les choses matérielles prennent une importance disproportionnée: la maison, la sangria, l'équipement de golf, la pelouse, la piscine... Jusqu'aux seins de Lucie, la jeune femme étant obsédée par la fermeté potentiellement déclinante de sa poitrine, qui devient une sorte de symbole extérieur de son insatisfaction. La pièce montre un couple piégé par le matérialisme et le conformisme, qui tente de reproduire le modèle de ses parents sans se questionner.
Impossible de ne pas penser aux iconiques Voisins. Son cadre banlieusard, une certaine vacuité intérieure de ses personnages et le couplet du père (subtil Roger La Rue) sur le gazon (!) semblent faire de ce texte un héritier direct de l'univers de Saïa et Meunier — le langage absurde mis à part. Afin d'éviter que l'on en reste au premier degré, il manque peut-être justement un peu de recul dans l'écriture de cette pièce qui joue sur les clichés et, avec sa grande légèreté de surface, adopte parfois des accents de théâtre d'été. Comment parodier une société superficielle sans tomber dans l'insignifiance? La ligne est mince, que semblent parfois traverser certains personnages et interprètes. Le spectacle comporte cependant quelques scènes vraiment drôles. Et Hélène Bourgeois Leclerc offre un bon numéro dans la peau de cette Lucie irritante et pathétique, qui s'accroche à une image de perfection, jusqu'au ridicule.
Construction fait d'autant plus «moderne» que le spectacle dirigé par Daniel Roussel mise sur la technologie pour meubler la scène. Les personnages évoluent dans un espace plutôt dépouillé, un logis voulu comme inachevé par la scénographe Josée Bergeron-Proulx. Et, au lieu d'être laissés à l'imagination du public, les accessoires font l'objet de projections vidéo sur un écran au fond. Amusant, ce gadget technologique tend plutôt à distraire inutilement l'attention. Mais il crée aussi un cadre artificiel où les personnages en viennent pratiquement à ressembler à des créatures issues des Sims, ce populaire jeu informatique. Un environnement virtuel où vivre leur bonheur tout aussi factice.
Collaboratrice du Devoir