Théâtre - Pièce de résistance

Publié sous le manteau en 1942, ce court récit est demeuré célèbre pour son image forte de la lutte contre le fascisme. Le résistant Vercors a écrit là non pas une peinture réaliste de l'occupation de la France par les envahisseurs nazis, mais une sorte de fable. Contraints de loger un officier allemand, un Français et sa nièce décident de l'ignorer, opposant un silence entêté à leur pensionnaire imposé.

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Le Silence de la mer
Texte de Vercors. Mise en scène de Marc Beaupré. Au Théâtre La Chapelle, jusqu'au 9 mars.
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Mais ce n'est pas si facile puisque l'intrus se révèle l'antithèse du méchant nazi: c'est un musicien sensible, idéaliste, humaniste, épris de culture française. Et pas qu'un peu naïf, puisqu'il croit que cette guerre va rapprocher les peuples, comme le colporte la propagande... Une espèce d'entente tacite se noue entre ces trois êtres, à travers ce silence même, dans lequel l'Allemand voit une expression de la dignité.

Outre une forme de résistance, ce mutisme devient aussi le symbole du bafouement de la liberté d'expression par le régime nazi. C'est de culture dont parle au premier chef Le Silence de la mer, pas des horreurs de la guerre ou des camps de la mort. À la tonitruante barbarie nazie, Vercors oppose l'art, les choses de l'esprit.

La production inaugurale du théâtre Terre des hommes met en lumière cette importance de la culture contre l'obscurantisme. La scène dépouillée est entourée d'amas de livres. Des mots sont inscrits à la craie par les personnages sur les murs mêmes du théâtre, par exemple les noms des lieux dont ils esquissent le dessin. Ils marquent de la même façon le passage du temps, une solution ingénieuse. Relevant ce qui était un défi pas évident, la première mise en scène professionnelle de Marc Beaupré comporte ainsi plusieurs idées intéressantes.

Pour avoir lu le récit, il me semble pourtant qu'on perd une dimension dans la version théâtrale, adaptée par Vercors lui-même, qui comporte quelques phrases explicatives supplémentaires. (Ainsi, la dernière réplique de l'oncle paraît diminuer un peu l'impact de l'«adieu» final de la nièce.)

Le paradoxe, c'est que sur scène, cette oeuvre de silence devient passablement verbeuse... Alors que, dans la nouvelle, la narration de l'oncle constituait le point de vue dominant; ici, ça devient beaucoup, par la force des choses, le soliloque de l'Allemand, qui disserte longuement — et bellement — sur l'art et la fraternité. Monologue reposant sur les épaules du convaincant Renaud Paradis, qui rend bien l'enthousiasme candide, puis le désespoir de son personnage, quand ses illusions se brisent.

La pièce réussit pourtant à créer des silences fort éloquents. Même si, bien souvent, ils ne regardent pas l'officier, lui tournent le dos même, René-Daniel Dubois et Sylvie De Morais-Nogueira parviennent magnifiquement à communiquer les émotions contradictoires des hôtes français, tiraillés entre une désapprobation de la situation et la sympathie qu'ils éprouvent pour l'homme. On entend bien le «vacarme assourdissant» de leur lourd silence, pour reprendre la belle expression de Michel Tremblay.

Collaboratrice du Devoir

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