Théâtre - Sur la voie de Cyrano
Après l'immense succès obtenu par Les Mains sales l'an dernier, Gill Champagne a choisi de réunir de nouveau les forces vives de cette production pour s'attaquer, cette fois, au chef-d'oeuvre d'Edmond Rostand. Rencontre avec Hugues Frenette à l'aube de se frotter à un des plus grands défis de sa carrière.
Québec — «Je comprends pourquoi on confie généralement Cyrano à des acteurs plus âgés que le rôle», répond sans détour le comédien lorsqu'on lui fait remarquer que ce sont bien souvent des monstres du théâtre comme Guy Nadon, Pierre Lebeau, Jean-Paul Belmondo ou Gérard Depardieu qui incarnent le personnage. «Le rôle est immense. Le personnage, démesuré. Il faut beaucoup de métier pour porter cette quête d'absolu.»L'hiver dernier, en plein coeur de la planification de la saison 2007-08, Gill Champagne annonce à Hugues Frenette qu'il entend programmer le texte de Rostand et qu'il est choisi pour le premier rôle. «J'ai immédiatement eu un incroyable sentiment de vertige. J'ai tout d'abord pensé que je n'étais pas prêt, que je manquais d'expérience pour porter Cyrano.» Il hésite et se lance finalement dans l'aventure lorsqu'il apprend que le directeur artistique du Trident a décidé de réunir de nouveau l'équipe des Mains sales.
«Ça m'a tout de suite mis en confiance quand j'ai su que Marie Gignac dirigerait le projet. L'an dernier, en montant le Sartre, j'ai découvert à quel point elle est une grande metteure en scène. Elle est à la fois brillante et intuitive. Au départ du travail sur Les Mains sales, lorsqu'elle nous a annoncé que la première scène allait se jouer dans une voiture, j'avoue que j'ai eu un doute. Mais elle nous a vite convaincus de la justesse de son jugement et de son goût artistique sûr.»
Le comédien n'est pas le seul à être étonné. La production déjoue en effet les pronostics des commentateurs — qui ne se gênent pas, avant la première, pour qualifier le texte de poussiéreux — et remporte un franc succès, tant auprès du public qu'auprès de la critique. Ce succès a d'ailleurs été récompensé par quatre des Masques les plus prestigieux — production à Québec, mise en scène (Marie Gignac), interprétation masculine (Hugues Frenette) et conception du décor (Michel Gauthier).
Choix esthétiques
et adaptation
«Contrairement à l'an dernier, Marie Gignac a choisi cette fois de ne pas moderniser la proposition. Nous avons décidé de faire un show d'époque. Le public s'attend à un spectacle de capes et d'épées et c'est exactement ce qu'on lui donnera.» Pour explorer cette esthétique, Marie Gignac a retenu de nouveau les services de Michel Gauthier à la scénographie et de Virginie Leclerc aux costumes. «Même si on évolue dans un nouveau langage, on ne changera pas Marie... Elle aime trouver l'aspect sexy de l'affaire!»
Pour Les Mains sales, Gignac avait effectué un travail colossal afin d'épurer l'oeuvre de Sartre. Cette fois encore, elle a travaillé le texte en profondeur. «Dans sa version originale, le texte de Rostand dure plus de quatre heures. Marie s'est arrangée pour que le spectacle tourne autour de trois heures. Elle a donc dû faire un important travail de coupures pour éliminer les redites, les informations inutiles ou les moments moins importants.»
Pour Frenette, les coupures n'ont nui en rien au texte original. Au contraire, on y gagnerait une certaine fluidité. «Je mesure à quel point Rostand nous a légué une oeuvre remarquablement bien écrite. Le spectacle file à une vitesse phénoménale. Il n'y a pas de temps morts. Pas de scène où on se dit: "Ça manque de rythme, mais on n'a pas le choix. L'info qui est donnée est essentielle pour la compréhension de la suite des autres scènes." C'est un véritable plaisir
à jouer!»
Parlant de plaisir, le comédien savoure chaque moment où il s'approprie le personnage. «Je ne cherche pas du tout à intellectualiser Cyrano. Je ne cherche pas à retracer les interprétations ou la signification du rôle. Ce n'est pas mon travail. Je me laisse plutôt guider par son parcours poétique.»
Hugues Frenette mesure l'ampleur du défi. Non seulement il devra porter à lui seul près de la moitié du texte (plus de 1400 vers bien contés!), mais il fera également face aux idées préconçues des spectateurs. «Avec un texte aussi populaire et qui comporte autant de répliques d'anthologie, beaucoup de gens se sont déjà imaginé leur version du spectacle. Je le sais parce que je me fais souvent dire: "Vous êtes mieux de faire un bon show parce que je le connais bien, moi, Cyrano. Je peux en réciter de grands bouts par coeur!"»
«Je me suis rendu compte que je me fiche pas mal de leur lecture du show. J'ai plutôt envie de le faire découvrir à de nouveaux publics, à des jeunes qui ne connaissent pas encore Cyrano. Je me rappelle encore quand j'ai vu le film de Rappeneau pour la première fois. Je devais avoir quinze ans. Je suis sorti de la salle complètement bouleversé. Je pense que j'ai été amoureux d'Anne Brochet [Roxanne] pendant deux semaines! Mais ce qui m'a le plus ému, c'est ce personnage qui défend un absolu poétique, une quête de grandeur qui ne tolère aucune médiocrité. Et qui, malgré sa stature, son esprit acéré et sa lame implacable, est complètement anéanti dans sa recherche de l'amour par un bête défaut au visage.»
Collaborateur du Devoir
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Cyrano de Bergerac
Texte d'Edmond Rostand
Mise en scène de Marie Gignac
Au Trident du 4 au 29 mars avec supplémentaires les 9, 16 et 30 mars à 15h.