Théâtre - La mémoire en fuite

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Passages
Composition scénique d'Anne Sophie Rouleau. Jusqu'au 26 janvier, au Théâtre La Chapelle.
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La jeune compagnie se nomme Matériaux composites, et l'expression pourrait aussi décrire leur spectacle présenté au Théâtre La Chapelle. Passages donne en effet à voir un collage de scènes impressionnistes sans fil narratif évident, typique d'un certain théâtre de recherche où le texte est un élément parmi d'autres. Et où le processus de création prime d'une certaine façon sur l'aboutissement d'une oeuvre en constante mouvance. Il faut dire que cette pièce est née au sein de l'université, créée à l'été 2006 à l'UQAM et sacrée «meilleur mémoire-création» de l'École supérieure de théâtre.

Il est justement question de la mémoire dans Passages. Dans un espace envahi à la fois par la terre et les livres, le spectacle nous plonge dans une atmosphère marquée par la perte, un univers qui pourrait bien faire suite à un tragique sinistre. Deux danseuses (Johanna Bienaise, Patricia Leblanc) et trois acteurs (Noë Cropsal, Julie Vachon, Simon Gfeller, qui fait aussi montre d'une belle voix) s'y côtoient sans nécessairement interagir. Des personnages en déséquilibre, qui semblent parfois en quête de quelque chose, ou dont les corps tombent tels des pantins désarticulés. Mais on n'a droit ici qu'à des bribes de sens. Ici une chanson, là un monologue ou une chorégraphie. Des éléments qui, à première vue, semblent passablement hétérogènes.

Le spectacle est aussi tissé de quelques fragments textuels, souvent énigmatiques dans le contexte, puisés chez Gertrude Stein, le dramaturge français Jean-Luc Lagarce (J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne) ou dans le City d'Alessandro Baricco, hommage — décliné avec sensibilité par Julie Vachon — aux chemins de traverse qu'empruntent souvent, à l'instar des fleuves, les folles destinées humaines. De la même façon, cette pièce semble aussi suivre sa propre logique, qui nous échappe, ses détours inexplicables.

Jouant avec les éléments naturels — la terre, le feu, la pluie —, la «composition scénique» d'Anne Sophie Rouleau évoque le deuil et les tentatives, parfois absurdes, des êtres pour «tromper la mort». Si l'ensemble est abstrait et plutôt hermétique dans sa totalité, le spectacle est pourtant loin d'être dépourvu de scènes ludiques. Des moments de dérision, telle une chorégraphie humoristique sur l'air de Toute la pluie tombe sur moi... Quelques images assez fortes surnagent: une litanie de prénoms (qui prennent ici une grande importance) tombés en désuétude, qui devient l'accompagnement sonore d'une succession de scènes où les autres interprètes miment diverses façons de trépasser; ces acteurs perchés sur des colonnes précaires de livres.

Collaboratrice du Devoir

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