Théâtre jeunes publics - Un secteur en (grande!) santé

Le théâtre destiné aux jeunes publics se porte fort bien, merci. Oh, direz-vous, c'est facile d'affirmer des choses comme celles-là puisque personne n'a vraiment l'occasion d'aller vérifier sur place... sauf, évidemment, les mêmes (toujours les mêmes!) privilégiés.

Bon. Oui c'est vrai, je prends toujours autant de plaisir à me retrouver dans des salles grouillantes d'enfants. Mais il ne faut pas être sorcier pour constater, en y regardant d'un peu plus près, la sémillante santé du secteur: profitons donc de cette rentrée pour aller prendre le pouls du théâtre jeunes publics.

Des signaux clairs

Premier signal: la profusion. De janvier à juin, les enfants seront gâtés puisque les grands diffuseurs comme la Maison Théâtre à Montréal et les Gros Becs à Québec leur proposent des spectacles à la pelle (ou presque). Et c'est sans compter sur l'apport des trois festivals qui nous attendent, le premier (Les Trois jours de Casteliers) dans quelques semaines à peine, le second au printemps (Petits bonheurs), le dernier mais non le moindre, à l'automne (Coups de théâtre), et dont nous ne connaissons pas encore la programmation. En plus de toutes les productions récentes qui prennent la route des régions grâce aux partenaires de l'Aventure T... Mais ne précipitons rien: allons-y dans l'ordre.

À la Maison Théâtre, rien de moins que huit spectacles différents prendront l'affiche d'ici l'été. C'est d'abord une production française, Les Enchaînés, de la compagnie alsacienne Flash marionnettes, qui s'installera dans quelques jours avec sa dénonciation décapante de l'emprise de la télévision destinée aux enfants de 10 ans et plus — on me chuchote à l'oreille que les parents sont les bienvenus. Le texte est de Philippe Dorin, que l'on joue de plus en plus ici, et le spectacle, qui fait un peu penser à une édition des Guignols de l'info pour enfants, prendra ensuite la route de Beloeil puis de Québec. Ce qui nous permet de mettre en relief un deuxième signe de santé: les spectacles venant de l'étranger voyagent d'un diffuseur à l'autre, ce qui donne la possibilité d'amortir les coûts et d'offrir aux enfants le meilleur de ce qui se fait à l'extérieur. C'est ainsi, par exemple, que Laurent Dupont, un des grands artisans du théâtre pour bébés en Europe, présentera son remarquable AL di LA en mai à la Maison Théâtre (pour les petits de 2 à 4 ans) tout juste de retour des Gros Becs où il proposera Archipel (pour les 18 mois à 3 ans, fin avril) avant de présenter un spectacle à Petits bonheurs. On avait fait la même chose l'an dernier avec Ève Ledig que l'on a pu voir à Beloeil, à Québec, à la Maison Théâtre et à Petits bonheurs: c'est une formule gagnante!

Autre signal important: la nouveauté des spectacles. C'est l'évidence même qu'il faut favoriser la création pour offrir aux enfants des productions qui reflètent bien le monde dans lequel ils vivent. Rue Ontario à Montréal, par exemple, la très grande majorité des spectacles offerts sont des spectacles tout neufs qui commencent à peine leur vie, de Garde-robe (pour les 3 à 7 ans) du Moulin à Musique, à Assoiffés de Wajdi Mouawad dans la production du Théâtre Le Clou (en mai pour les ados dès 14 ans), en passant par le terrible et magnifique Cette fille-là de Joan MacLeod (dès 12 ans, en mars), Stanislas Walter Legrand de Sébastien Harrison que l'Arrière-scène vient tout juste de créer (en avril pour les plus vieux de 8 à 12 ans) et Soleils pâles (en juin, pour les 8 à 12 ans), le cinquième gagnant du concours d'écriture relève-jeunes publics. Rajoutez à cela (fin mars pour les 5 à 9 ans) Château sans roi, une valeur sûre que l'Avant-pays promène depuis des siècles un peu partout, et vous avez toute la programmation du TNM des jeunes, comme certains l'appellent.

Plus loin

Aux Gros Becs, à Québec, notons d'abord que les «vraiment tout petits» se verront proposer trois spectacles. L'irrésistible Petit Monstre de Jasmine Dubé (pour les 3 à 8 ans, en mars) et deux productions pour bébés françaises: le Laurent Dupont dont on vous parlait et Cousu main de la Compagnie Éclats, de Bordeaux (dès 18 mois, en mai). On offrira aussi deux spectacles tout récents au groupe des 4 à 9 ans: Balade au pays de la forêt qui marche, la toute nouvelle production du Théâtre de Sable sur l'univers de Shakespeare (dès la fin janvier) et Staccato, un spectacle de clown du Théâtre de l'Aubergine, fin février. Les enfants de 10 ans et plus auront le choix parmi trois (et même quatre!) spectacles: Les Enchaînés (en février), puis (en mars) le redoutable Cette fille-là, s'amèneront en provenance de la Maison Théâtre et, tout de suite après, début avril, Pour ceux qui croient que la Terre est ronde de Jean-Rock Gaudreault. C'est un spectacle de danse-théâtre en provenance de Belgique, +vite que tes yeux du Théâtre des ZYGomars, qui viendra mettre fin à la série, fin avril. Ici aussi, on le notera, six des neuf spectacles proposés aux enfants sentent encore le tout neuf et au moins quatre sont «en circulation», c'est-à-dire arrivent de ou s'en vont quelque part ailleurs.

On pourrait établir le même constat à partir de la programmation de l'Arrière-scène à Beloeil où quatre des cinq productions qui prendront l'affiche sentent autant l'asphalte que le plâtre frais: on y retrouve en effet Les Enchaînés, Cette fille-là et AL di LA en plus d'une production du Théâtre Maât de Belgique, Le Saut de l'ange (en avril pour les 3 à 6 ans). Quand on sait que la seule production que l'on connaît déjà, Lucille in the sky avec un diamant de Reynald Robinson dans la production du Gros Mécano, roule depuis à peine deux ans, on saisit vite que le taux de renouvellement des spectacles est à la hausse.

Et puis il faut souligner aussi une foule d'initiatives comme, par exemple, celle du Conseil des Arts de Montréal en tournée, qui permet à des compagnies qui se consacrent aux jeunes publics d'aller visiter les enfants chez eux, dans les maisons de la culture des différents arrondissements. C'est le circuit qu'a emprunté, par exemple encore, la compagnie Bouge de là pour faire connaître ses spectacles de danse-théâtre pour les enfants, et c'est précisément ce que fera L'Illusion Théâtre, qui promènera son Jacques et le haricot magique jusqu'à la fin mars. Notons en passant que Claire Voisard prépare un tout nouveau conte-spectacle pour les tout petits à compter de deux ans, Les Habits neufs, qui devrait prendre l'affiche dans le petit théâtre de la rue de Bienville en avril.

Plus loin encore, à l'extérieur des grands centres, la vitalité du secteur jeunes publics est assurée par des directeurs de salle et des diffuseurs qui croient mordicus à l'importance de présenter du théâtre aux enfants. Rassemblés pour la plupart dans le réseau de l'Aventure T, ils jouent un rôle primordial que l'on ne soulignera jamais assez. C'est ainsi que les enfants de Joliette, L'Assomption, Terrebonne, Châteauguay, Longueuil, Sorel-Tracy, Saint-Jean-sur-Richelieu, Salaberry-de-Valleyfield, Saint-Hyacinthe, Sainte-Geneviève, Laval, Sainte-Thérèse, Saint-Eustache, Saint-Jérôme, Mont-Laurier, Maniwaki et Gatineau se voient offrir une solution de rechange à la télévision et proposer les spectacles qui ont connu le plus de succès sur les grandes scènes des grands centres. Il ne reste plus qu'à élargir encore davantage le réseau.

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