Théâtre - La mort sans tristesse

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Blanc
D'Emmanuelle Marie. Mise en scène: Geneviève L. Blais. À la salle Fred-Barry jusqu'au 26 janvier.
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Il est des sujets dont il est malaisé de parler au théâtre. Je suis d'avis que le deuil fait partie de cette liste. Car il est fait d'images éparses, envahissant l'endeuillé sans prévenir. En outre, le deuil se vit d'abord et avant tout dans le silence. Quand la mort frappe, la parole joue le plus souvent un rôle accessoire: plutôt que d'attirer l'attention sur l'essentiel, les mots nous en distraient, nous en éloignent ou, en tout cas, ne nous en approchent pas. Voici ce que je me disais à la sortie de Blanc de l'auteure dramatique française Emmanuelle Marie, mis en scène par Geneviève L. Blais et présenté à la salle Fred-Barry.

Je reconnais cependant que l'auteure a judicieusement décrit l'accompagnement vers la mort d'un être cher. Les étapes y sont. Le genre de conversation que l'on tient. Les gestes que l'on effectue. Mais les instants les plus cruciaux n'y figurent pas. D'ailleurs, un regard perdu dans le vague, une promenade sans véritable destination, une minute au milieu de la nuit où la seule chose qui compte est la respiration de l'autre feraient-ils un bon spectacle? J'en doute.

Comme l'histoire de ces deux soeurs confrontées à l'agonie de leur mère n'arrive pas à cerner la peine causée par cette épreuve, la metteure en scène Geneviève L. Blais a voulu convier le chagrin de manière plus directe. Elle a invité 12 femmes ayant perdu leur mère à témoigner, en début de représentation, de la douleur accompagnant encore aujourd'hui la mort de celle qui leur a donné la vie. En outre, à quelques moments-clés de la pièce, les murmures et les gestes de ces femmes, dorénavant assises derrière le public, se joignent à celles des comédiennes. Ce choix scénique prouve une fois de plus que vérité éprouvée et vérité artistique ne se confondent pour ainsi dire jamais.

Conforme au projet à deux battants qu'a conçu Geneviève L. Blais, Blanc repose sur un espace scénique double. Au niveau du sol, près des spectateurs, un mur jaune Provence percé d'une porte évoque l'intérieur dans lequel les deux soeurs attendent. Derrière le public, un mur formé de gros bocaux dans lesquels gît une fleur séchée referme le lieu. C'est près de ce mur que s'installe le choeur de femmes convoqué pour cette production.

Si le texte et la mise en scène de Blanc pèchent par manque de transposition, Simone Chevalot et Isabelle Roy incarnent avec conviction les deux soeurs qui veillent leur mère mourante. La première prodigue sa présence et sa voix insolites à une actrice ratée, tandis que la seconde prête vie aux désirs et aux blessures enfouis d'une femme bien ordinaire. Les deux actrices parviennent même, par moments, à illuminer une situation dramatique plus lugubre qu'émouvante. Mais ces êtres nous intéressent alors moins parce que la mort s'insinue dans leur existence que dans la mesure où la vie continue. En d'autres mots, Blanc tourne sans cesse autour de son sujet sans faire jaillir, au passage, la tristesse infinie qui étreint toute personne forcée d'assister au décès de sa propre mère.

Collaborateur du Devoir

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