Un nouveau souffle pour le théâtre québécois

C'est dans l'allégresse et même la fierté que les centaines de participants encore présents ont mis fin, tard samedi soir à la Maison Théâtre, aux seconds États généraux du théâtre québécois. Passionnée, passionnante, la rencontre de trois jours réunissant tous les types de «travailleurs du théâtre d'ici» aura permis l'arrivée dans le décor d'un impressionnant cahier de près de 75 propositions votées samedi en assemblée générale.

Et la très grande majorité d'entre elles évoquent déjà une sorte de nouvelle façon de travailler ensemble faisant une très large place aux aspirations de «la relève» et de tous les professionnels de la scène.

Deux temps forts

Mais il a fallu travailler très fort. D'abord pour réussir à «construire» ces États généraux, on le sait, mais aussi pour mener la rencontre à bon port. Ceux et celles, par exemple, qui ont rédigé le cahier des propositions discutées en ateliers y auront mis toute la nuit de vendredi à samedi... ce qui explique quelques visages survoltés et peut-être aussi l'ardeur, la hauteur générale et la qualité des débats tenus durant l'assemblée plénière réunie pendant plus de 12 heures.

Rappelons que les cinq ateliers de vendredi touchaient la diffusion des spectacles, à l'échelle nationale comme internationale, les modes de production des spectacles, le renouvellement du financement du théâtre au Québec et les conditions de travail et de vie des professionnels de la scène. La plupart des mesures proposées sont extrêmement concrètes. Elles impliquent souvent la réorganisation de certains programmes ou encore des maillages de tous types correspondant plus à la «vraie» réalité: mesures fiscales, dégrèvements d'impôt, programmes d'embauche ou même un filet social à mettre en place. C'est ici que le mot «intermittent» a flotté au-dessus de la salle pendant quelques minutes...

Des observateurs soulignaient à quel point plusieurs résolutions mettent en relief des carences réelles, des vices de fonctionnement du système en place, autrement dit des trous dans les programmes et les façons de faire actuelles. Sur la plupart de ces propositions, l'assemblée est parvenue à l'unanimité après des discussions et des débats riches en couleurs et en affrontements divers. Mais même si l'on a réussi à aborder tout cela dans un bizarre amalgame de pragmatisme, d'audace et d'affirmation, même si l'on a réussi à parler autant de rêves et de réalité que de dollars et de principes, deux moments très forts auront marqué la journée.

Le premier est celui de l'arrimage entre l'école et la culture. La résolution adoptée après une heure de débats très vifs «demande à l'État québécois de rendre obligatoire la fréquentation du théâtre professionnel par tous les élèves du Québec et que le CQT [Conseil québécois du théâtre] en fasse une priorité». Rien de moins. C'est d'abord le mot obligatoire qui a provoqué une série de discussions passionnantes où l'on a parlé de «l'essentiel accès des enfants à la culture» et «d'acte citoyen» d'une part; et de l'autre, de «mesure trop hâtive» et du «danger de voir le ministère de l'Éducation s'ingérer dans le répertoire et la programmation des compagnies». On a eu droit ici à des cris du coeur et à des envolées absolument remarquables de certains des principaux acteurs du secteur jeunes publics et c'est finalement la position de principe et la volonté d'effectuer un geste clair qui l'ont emporté. C'est une des deux résolutions les plus potentiellement structurantes, par leurs retombées, de la rencontre de trois jours.

La seconde résulte d'une proposition discutée après que la présidente d'assemblée — Nicole Lacelle qui a mené tout au long le bateau de façon exemplaire et stimulante — eut prolongé la rencontre pour une deuxième fois. Autour de 19h, samedi, alors que tout aurait dû déjà être terminé depuis longtemps, un autre débat passionné a enflammé la grande salle de la Maison Théâtre...

Nouvelles antennes

Après avoir redéfini par une série de propositions la place des professionnels de la scène et des jeunes compagnies, après avoir posé les bases d'un arrimage entre l'école et la culture, l'assemblée générale s'est galvanisée autour du concept de la «pyramide assumée»...

En termes plus clairs, l'assemblée a voté une résolution demandant la création de «deux nouvelles entités théâtrales d'envergure, une à Québec et une à Montréal». Ces «entités» ont tout d'un Théâtre national puisqu'une autre résolution adoptée à l'unanimité précise la chose en parlant «d'institutions-phares» et de «pôles de création accueillants et éclairants pour le milieu». Les deux résolutions ne parlent pas nommément du TNM et du Trident, mais elles mettent clairement en relief les objectifs formulés jadis par Jean Gascon et Paul Hébert, par exemple.

Ici aussi, on a discuté avec passion. En donnant l'exemple de structures identiques un peu partout en Europe et ailleurs dans le monde où lesdites «institutions-phares» se situent au sommet d'une pyramide et permettent — sans remettre en question l'existence ou le financement des autres lieux de théâtre — l'accès de tous les publics à la réalisation de projets d'envergure tout comme ils assurent la transmission des métiers de la scène qui disparaissent de plus en plus et la mise en place de programmes de formations continues. «C'est un rêve, oui, disait Martin Faucher réélu à la présidence du CQT à la conclusion de l'événement. Mais c'est un objectif que nous nous fixons parce qu'il est lié à l'épanouissement de la société québécoise tout entière.»

Ces trois jours de travail intense risquent de changer à jamais la façon dont on fait du théâtre ici. Le cahier de propositions qui sort de ces seconds États généraux repose sur une analyse globale à la fois froide, lucide et passionnée de tout le secteur partout au Québec. Les professionnels de la scène en ressortent grandis, unifiés comme jamais dans la diversité des approches qu'ils proposent. À un point tel, d'ailleurs, qu'il faudra désormais remplacer l'expression légèrement fendante de «beau milieu» par quelque chose de beaucoup plus dynamique. Comme...

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