Théâtre - L'ère du soupçon

De passage au Festival des films de Toronto, l'animateur et satiriste américain Bill Maher plaidait récemment pour la nécessité d'avoir à la présidence de son pays «une personne qui doute», plutôt qu'un croyant comme Bush. Son compatriote John Patrick Shanley (auteur de Moonstruck, notamment) réhabilite lui aussi cet insidieux grain de sable de l'esprit, signe d'humanité et de réflexion dont on a bien besoin par les temps qui courent...
Croulant sous les prix prestigieux — du Pulitzer au Tony Award —, sa pièce parle du doute... dans un milieu de foi où l'on suit des dogmes. C'est-à-dire une école catholique en 1964, dont la directrice part en croisade contre un jeune prêtre qu'elle soupçonne d'attouchements sexuels sur un élève — le premier Noir qu'accueille l'institution, ce qui n'est pas anodin.À première vue, Le Doute apparaît comme une pièce bavarde, de forme conventionnelle, qui met du temps à démarrer; une «parabole» aux personnages quasi archétypaux. D'autant que la mise en scène de Martine Beaulne donne tout son poids au contexte socio-historique — important — du récit. La scénographie comporte pourtant des éléments symboliques, tels la monumentale église aux perspectives obliques et ce rosier complètement recouvert pour l'hiver trônant dans le jardin...
De la même façon, en creusant Le Doute, on découvre une histoire simple mais aux ramifications profondes, où tout n'est pas révélé d'emblée. S'y affrontent — hormis peut-être la religieuse très naïve, incarnée avec coeur par Marie-Ève Bertrand — des personnages plus complexes qu'il n'y paraît. Un prêtre progressiste, arrogant mais séduisant, dont Gabriel Sabourin préserve ultimement le caractère ambigu. Une religieuse réactionnaire mais très droite, aux principes stricts. Louise Laprade campe avec force et dignité cette soeur vieillissante qui s'accroche peut-être à ses certitudes parce que tout autour d'elle, un vent de changement et de réformes sociales souffle sur la société. C'est aussi, nous rappelle la pièce, une femme devant combattre au sein d'une institution discriminatoire où «ce sont les hommes qui ont le pouvoir».
L'évocation sentie de tout ce contexte rend la confrontation entre les deux protagonistes plus riche. Le père Flynn a-t-il commis un acte odieux, ou la directrice est-elle d'emblée encline à le soupçonner parce qu'elle s'insurge contre tout ce qu'il représente? Est-ce un cas d'intolérance ou une courageuse dénonciation de pédophilie dans un milieu très hiérarchisé? Cette ambiguïté fait l'intérêt de la pièce. Ajoutons qu'en une seule scène, un quatrième personnage, la mère de l'enfant que l'on soupçonne d'avoir été abusé (convaincante Myriam De Verger), réussit à apporter un son de cloche différent, à introduire une autre variable dans ce débat qu'elle complexifie encore davantage.
Le Doute n'est pas une de ces pièces à procès dont sont friands les Américains. Shanley a eu l'intelligence de ne pas trancher, laissant les spectateurs repartir avec leurs... doutes et leurs questions. Il nous invite à tirer nos propres conclusions, mais surtout à méditer sur nos certitudes trop enracinées...
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Le Doute
Texte de John Patrick Shanley. Traduction de Michel Dumont. Mise en scène de Martine Beaulne. Au Théâtre Jean-Duceppe, jusqu'au 20 octobre.
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Collaboratrice du Devoir