Crise de diva
C'est sur un Tremblay que se terminent les 50 ans du TNM, alors qu'à l'aube de la soixantaine, l'auteur des Belles-Soeurs s'aventure de nouveau au théâtre à l'occasion d'un anniversaire. La dernière fois, c'était Encore une fois, si vous le permettez lors du cinquantenaire du Rideau Vert. L'année prochaine, ce sera Le Passé antérieur chez Duceppe, pour les célébrations du trentième anniversaire de la compagnie. En dépit d'un titre ambitieux, L'État des lieux appartient donc à cette nouvelle veine de son oeuvre dramatique qu'il faut bien appeler les commandes d'anniversaire.
La protagoniste est une cantatrice québécoise, mondialement célèbre, qui rentre au pays en catastrophe. En effet, Patricia Pasquetti (de son vrai nom, Patricia Paquette) vient d'être la risée de l'Opéra Bastille puisqu'elle y a commis un couac terrible dans la Salomé de Strauss. La fausse note s'est d'ailleurs répercutée à Montréal où l'attendent sa mère, sa fille et même son accompagnateur, qui en ont gros sur le coeur. Mais, plutôt que de consoler la diva, chacun cherchera surtout à régler ses comptes avec elle.Par l'anecdote, L'État des lieux rappelle en outre le second théâtre de Tremblay, celui qui a pour cadre les "clubs" minables de la métropole. En effet, l'humiliation de Patricia au début de la pièce n'est pas très éloignée de la honte qui afflige le travesti, Hosanna. De la même manière, la hargne et l'ambition de la Pasquetti évoquent celles de Lola Lee (Demain matin, Montréal m'attend) tandis que le discours nationaliste de Michèle, sa fille, fait écho à celui de Sainte-Carmen-de-la-Main. Par d'autres côtés, cette satire de l'opéra fait aussi songer à En circuit fermé, le pamphlet dramatique où Tremblay s'en prenait à la télévision publique. Pièce qu'il n'avait pas jugé bon de laisser jouer, mais qui avait été présentée en lecture publique il y a maintenant presque une dizaine d'années.
D'ailleurs, parce que l'échec cuisant qu'a subi Patricia Pasquetti la met en furie, les deux premiers tiers de L'État des lieux sont de beaucoup supérieurs au reste, qui n'en a pas l'âpreté ni le même caractère désespéré. Or, si c'est un plaisir d'entendre la cantatrice se moquer du provincialisme de "Mârial" tout en se vautrant dans un accent qui lui a manqué, l'idéalisme de sa fille puis le pragmatisme de sa mère viennent éteindre et banaliser une crise de diva qui se termine en queue de poisson. Troisième éteignoir, les états d'âme de l'accompagnateur (Denys Paris, guère convaincant), qui prennent la forme d'une séance de psychanalyse et dont la version redouble le récit de la cantatrice sans vraiment l'enrichir.
Colère qui s'essouffle, L'État des lieux souffre principalement de la sérénité, de la tranquillité, de l'esprit de conciliation qui s'infiltrent en bout de piste dans le drame pour le neutraliser. Bref, la tentation du consensus empêche l'avènement du tragique et émousse la dureté des conflits familiaux de telle sorte que l'héroïne retourne en Europe inchangée et que la routine reprend ses droits chez sa fille et sa mère comédiennes, qui acceptent de jouer ensemble dans un nouveau téléroman.
Le metteur en scène, André Brassard et la scénographe, Danièle Lévesque se sont entendus pour couvrir d'une moquette d'un rouge bien théâtral le sol du penthouse de la diva pendant qu'un rideau crème, de la même couleur que les murs, cache une deuxième scène qui sert à l'ouverture et à la finale de la pièce. Petit clin d'oeil au théâtre dans le théâtre, comme les aime le fidèle complice de Tremblay.
Autrement, L'État des lieux offre surtout un rôle sur mesure à Marthe Turgeon qui déclenche les rires à chaque fois qu'elle écorche le mot Montréal. De plus, elle manipule avec grande aisance, grâce à sa voix inimitable, les divers niveaux de langue de l'ambivalente Patricia Paquette, qui a gagné une carrière internationale, mais perdu son âme. En revanche, il est décevant de voir l'excellente Kathleen Fortin hériter d'une fille bien pâlotte pour se faire valoir, mais encore plus d'assister à la prestation de Rita Lafontaine, qui en est réduite à composer sans la moindre nuance une autre "grosse colonne". Mais une distribution ne peut donner que ce qu'elle a et ne faire au mieux d'une pochade que la pochade la plus réussie possible.