Théâtre - Terrain de jeu

Amour, cul et violence propose pour une rare fois dans le circuit théâtral habituel une distribution véritablement multiculturelle même si le sujet ne l’appelle pas forcément.
Photo: Amour, cul et violence propose pour une rare fois dans le circuit théâtral habituel une distribution véritablement multiculturelle même si le sujet ne l’appelle pas forcément.

Le programme d'Amour, cul et violence, actuellement présenté à l'Espace libre, est laconique: «Pendant un ACV (accident vasculaire cérébral), un cerveau tente de réorganiser sa pensée en questionnant les fondements de sa vie: l'amour, le cul et la violence.» Aussi le projet mené par les acteurs Didier Lucien et Guillermina Kerwin demeure-t-il énigmatique jusqu'à la fin.

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Amour, cul et violence
Texte et mise en scène:Guillermina Kerwin et Didier Lucien. À l'Espace libre du 9 janvier au 3 février.

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On ne saura jamais qui est vraiment le propriétaire du cerveau en question. Il est même risqué de parier sur le sexe ou la couleur de la peau de la personne concernée. À moins qu'il ne faille suivre la piste de la scène inaugurale où un comédien noir (Didier Lucien) raconte à ses amis que, lors d'un tournage, il s'est fait apostropher par une actrice connue qui lui a lancé: «Toi, tu dois avoir une grosse queue!»

La suite du spectacle est de la même eau. Je veux dire par là qu'Amour, cul et violence constitue un spectacle gentiment libertin, rempli d'allusions pour initiés, où on manie l'ironie et la parodie avec style mais au terme duquel on ne s'élève pas au-dessus du jeu pour le jeu afin de s'interroger de façon plus substantielle. Vers la fin de la représentation, on annonce à quelques reprises un sketch sur ceci ou cela. Et c'est exactement ce dont il s'agit: un assemblage de saynètes, librement attachées entre elles, mettant plus ou moins l'accent sur un des trois thèmes, sans que jamais le spectateur parvienne à croire que tout cela émane d'un seul et même cerveau. Et au bout du compte, est-ce si grave? En effet, l'objectif d'un jeu est seulement d'amuser. Du coup, personne ne se surprendra que ce jeu amuse avant tout les personnes qui l'ont conçu.

Nul ne s'étonnera non plus qu'en abordant le désir et la sexualité, Amour, cul et violence flirte à l'occasion avec le surréalisme, ce qui donne lieu à un tableau onirique dans lequel les femmes portent des masques de chat et les hommes des têtes d'étalon. Mais cela ne va jamais jusqu'à la cruauté. D'ailleurs, la création suit tant d'autres pistes que nous n'en finirions pas de les énumérer toutes: des émissions XXX aux chansons lascives en passant par les défilés de mode, sans oublier la torture physique ou verbale. Au fait, la violence s'avère la dimension la moins bien cernée de cette trinité des pulsions. C'était aussi la plus dangereuse. Preuve qu'il n'était pas envisagé par cette équipe d'explorer de véritables zones d'ombre, même par l'entremise de l'humour.

Entre autres qualités, cette création propose pour une rare fois dans le circuit théâtral habituel une distribution véritablement multiculturelle (trois comédiens noirs, trois comédiennes blanches) même si le sujet ne l'appelle pas forcément. De plus, on y intègre avec une certaine fluidité de la musique souvent atmosphérique, des chorégraphies sympathiques et des images vidéo dont l'intention parodique, à mon sens, aurait pu être encore plus accentuée. En outre, des extraits musicaux proches des films de genre interviennent souvent pour introduire des ruptures de ton marquées. Le tout se déroule dans un intérieur théâtralisé plutôt ingénieux.

Ce terrain de jeu met mieux en valeur certains comédiens que d'autres. La polyvalence de Valérie Le Maire et de Brigitte Poupart ressort ainsi davantage. Encore que, pour l'essentiel, un esprit d'équipe perceptible souffle sur cette production plus soft que son titre le laissait entrevoir. Le plaisir que paraît éprouver le collectif parvient le plus souvent à faire oublier le caractère aléatoire et, disons-le, un peu primaire de cet essai théâtral.

Collaborateur du Devoir

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