Théâtre - Deux pour un
Un deux pour un! Voici en quelque sorte ce qu'offre L'Homme invisible/The Invisible Man. En effet, ce spectacle de l'Ontario français revient en tournée dans nos contrées après un petit détour de trois jours à Québec le printemps dernier, dans le cadre du Carrefour international de théâtre, lui-même précédé d'un arrêt de quelques jours à Montréal — plus précisément à la salle Fred-Barry. C'est du reste au même endroit que sera présenté, pendant une dizaine de jours, ce récit à deux têtes, inspiré du recueil du même nom du poète Patrice Desbiens, né à Timmins, dans le nord de l'Ontario.
Car le double est inscrit au coeur de cette quête immobile. Celle du poète, bien entendu, qui nous raconte ses errances en français et en anglais. Avec des variantes, selon qu'il s'exprime dans l'une ou l'autre langue.Et c'est là tout l'intérêt de ce «road poem» théâtralisé que de montrer cette fracture intérieure, cette division à la fois douloureuse et rigolote, d'autant que, juchés sur des escabeaux, deux comédiens incarnent côte à côte mais alternativement cet être déchiré: Robert Marinier et Roch Castonguay.
Ce dernier est extrêmement volubile quand vient le temps de parler de cet Homme invisible dont le succès l'étonne encore. Il est vrai que, le premier, il a eu l'idée de le porter à la scène. Naturellement, cette forme qu'emprunte le récit de Desbiens traduit on ne peut plus concrètement l'existence quotidienne de bien des Franco-Ontariens. Mais cela tient peut-être aussi à ce que cette initiative a tiré Roch Castonguay du creux professionnel qu'il traversait. En fait, cet acteur de l'Est ontarien rêvait de monter ce texte de Desbiens depuis qu'il l'avait lu à 20 ans. Mais, à l'époque, il se rendait bien compte qu'il n'avait pas l'expérience nécessaire pour mener le projet à bien... Jusqu'à ce qu'il se dise, longtemps après, que l'heure était venue.
«C'était le lendemain du 11 septembre. Je me suis mis à faire les appels téléphoniques pour le show. J'avais peur. Pour moi, c'était une période difficile. Je voulais faire quelque chose pour me sortir de ma torpeur. On ne bénéficiait d'aucune subvention. Mais on savait qu'en Ontario, le spectacle allait avoir de la place. Ici, l'homme invisible, tout le monde le connaît. Même si, ici, le recueil de poèmes de Patrice Desbiens, personne ne l'a lu. J'ai commencé par faire une lecture intégrale de l'oeuvre en 2001 dans un hôtel. Deux ans après, on a commencé le travail en laboratoire. Ensuite, la maturité de l'équipe qui s'est mise à l'écoute du texte a permis à l'histoire de prendre forme et, par là, d'en faire voir la poésie.»
Selon Roch Castonguay, les créateurs réunis ont travaillé un peu à la manière des collectifs d'autrefois. «On n'a pas commencé avec un décor. On savait [les comédiens] qu'on ne voulait pas bouger parce que ça tuait le texte. Robert Bellefeuille [le metteur en scène] est allé dire au scénographe [Normand Thériault] qu'il fallait que ça flotte. Ensuite, c'est l'éclairagiste [Michael Brunet] qui a dû donner sa géographie au spectacle. Le musicien [Daniel Boivin] s'est ensuite occupé de transmettre l'émotion. Mais tout ça, c'étaient des décisions collectives.»
Plusieurs années plus tard, L'Homme invisible entame une tournée qui l'entraînera d'Ottawa à Moncton, avec des arrêts dans des destinations aussi exotiques que Jonquière et Le Bic. Ce n'est pas mal pour un poème dramatique bilingue, qui visait avant tout
le public franco-ontarien. Des regrets? Roch Castonguay n'en parle pas en ces termes. Il constate simplement que l'aventure artistique n'a attiré aucun théâtre anglophone.
L'Homme invisible/The Invisible Man, d'après Patrice Desbiens. À la salle Fred-Barry du 17 au 28 octobre puis en tournée au Québec et en Acadie jusqu'au 9 décembre.