Télévision: Un homme et son pays

Après les séries télévisées à caractère biographique consacrées, entre autres personnalités, à René Lévesque puis à Olivier Guimond, Jean Duceppe accède maintenant au panthéon du petit écran. Ni bouffon ni décideur, il fut pourtant promoteur à la fois du divertissement (par opposition au théâtre savant réservé aux érudits) et de la conscientisation sociale. Le Stan Labrie des Plouffe, le commis voyageur de Miller, le Maurice Duplessis du Théâtre du Trident, le président charismatique de l'Union des artistes et le fidèle défenseur des droits et devoirs des Canadiens français, c'était lui. Si Jean Duceppe a endossé de grands rôles qui ont marqué le public québécois, celui de citoyen engagé n'a certainement pas été le moindre d'entre eux.

Malgré cela, le portrait qu'en trace la série produite par Vidéofilms en collaboration avec Télé-Québec évite de sombrer dans la complaisance. Duceppe y apparaît aussi sympathique, sensible, sagace et volontaire que sujet aux sautes d'humeur, victime d'une insécurité chronique, allergique à la critique, prêt à dénoncer en ondes les infamies de tout acabit pour s'excuser le lendemain d'avoir été mal informé, etc. Ce portrait honnête ne fait que rendre le personnage plus humain, voire plus attachant. Paul Doucet, celui qui a osé relever le défi d'incarner le grand acteur décédé en 1990, sait dès ses premières répliques camper cet homme de façon nuancée et juste. Sans qu'il se contente d'en singer les mimiques, on reconnaîtra tout de même ici un froncement de sourcil, là une moue caractéristique au défunt comédien.

Cela dit, outre son personnage principal, une large part de l'intérêt que présente la série repose sur le contexte historique. Si les jeunes Jean-Louis Roux, Denise Pelletier, Roger Lemelin et Marcel Dubé y figurent afin de récréer l'essor qu'a connu le théâtre québécois au cours des cinquante dernières années, l'histoire du Québec n'est pas en reste. Le téléspectateur revivra, par exemple, l'avènement du petit écran, la grève de Radio-Canada de 1959 et l'émergence des idées nationalistes, autant d'événements auxquels fut mêlé Duceppe. Il est d'ailleurs fascinant, surtout pour les jeunes générations, de voir à quel point, à cette période de l'histoire québécoise, art et engagement social pouvaient aller de pair. Jean Duceppe, par exemple, à la barre de son émission radiophonique matinale, y allait jour après jour de revendications diverses qui touchaient tantôt le statut de l'artiste, tantôt le devenir de la population en général.

Ainsi, s'il faut en croire la série, c'est afin de démocratiser l'art dramatique que le comédien aurait fondé le théâtre qui porte toujours son nom. En optant pour des pièces moins «intellectuelles», Jean Duceppe voulait rendre le théâtre accessible à tous. Encore aujourd'hui, le Théâtre Jean-Duceppe, par l'entremise de son directeur artistique Michel Dumont (élu dauphin par Duceppe lui-même), semble adhérer à cette ligne de pensée.

La série Jean Duceppe emprunte aussi la même voie. Comme la plupart des séries télévisées, elle survole les événements plutôt que de les analyser et mise sur les clins d'oeil aux figures qui ont défrayé la manchette au cours des dernières décennies de même que sur les sentiments des personnages afin de rallier tous les publics. Il ne faut pas non plus s'attendre à quelque innovation sur le plan technique. La série de Robert Ménard n'en demeure pas moins fort intéressante et opportune en ce qu'elle participe à entretenir la mémoire d'un homme qui a marqué la scène québécoise. Les plus âgés saisiront l'occasion qui leur est offerte de revivre quelques grands moments de la culture nationale des dernières décennies, les plus jeunes auront la chance d'en connaître un des principaux acteurs.

Jean Duceppe

Série de six épisodes présentés les mardis à Télé-Québec, du 15 octobre au 19 novembre, à 21h.

Paul Doucet, celui qui a osé relever le défi d'incarner le grand acteur décédé en 1990, sait dès ses premières répliques camper cet homme de façon nuancée et juste.

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