Concerts classiques - Portraits de femmes
Les deux grandes soirées de la deuxième semaine du Festival de Lanaudière nous ont valu d'intéressants contrastes. Vendredi, un concert à quatre pianos, très joli moment de détente musicale populaire dans un amphithéâtre bondé (places assises et pelouse, soit plus de 4000 spectateurs). Samedi, un programme solide autour d'une vedette québécoise et des gradins fort clairsemés. Faut-il attribuer ce désintérêt à la présence péniblement récurrente de JoAnn Falletta? Peut-être, et quoi qu'il en soit, il est plus que temps de voir de nouvelles têtes sur le podium pour les prochaines éditions.
Chose intéressante, les deux soirées nous ont offert des portraits croisés de femmes musiciennes. De JoAnn Falletta on a maintenant fait artistiquement le tour, très bien résumé par l'absence de climats dans les Danses fantastiques, ou la primaire Bacchanale de Samson et Dalila: des nuances trop fortes bien trop vite, de l'esbroufe et les traditionnelles séries de déhanchements gauche-droite-gauche, qui seraient intéressants si l'art de la direction d'orchestre s'opérait au niveau du bassin. On aurait plutôt aimé soutien plus porteur, sensible et habité dans les Rückert-Lieder de Mahler. L'Orchestre Métropolitain a eu bien du mérite — à part un violoniste avachi au second rang, qui devrait carrément apporter sa chaise longue la prochaine fois — de s'engager ainsi.Marie-Nicole Lemieux s'est présentée — de deux manières vestimentaires et capillaires (préférence pour la robe noire et les cheveux attachés) — en excellente forme vocale, avec de louables tentatives de caractérisation des styles et des personnages. C'est dommage que tout Mahler ne soit pas du niveau émotionnel de la dernière strophe du dernier Lied, et que les Sept chansons espagnoles, très astucieusement orchestrées par Ernesto Halffter, ne trouvent pas la couleur vocale que Lemieux impose in extremis dans Polo.
«Mon coeur s'ouvre à ta voix», bissé en mémoire de Richard Verreau, est chanté avec générosité et une voix capiteuse, mais le candide abandon amoureux qu'incarne Marie-Nicole Lemieux dans l'air de la fielleuse Dalila est soit le sommet de la duplicité, soit le plus benêt contresens possible. À chacun de l'interpréter à sa guise.
C'est en voyant ces deux artistes sur scène samedi qu'on pouvait se dire que le portrait de femme décidée, celui de la musicienne d'une acuité imparable, était celui donné vendredi par Angela Cheng. Il lui était dévolu de mener le quatuor de piano (Cheng, Jalbert, Chi, Parker) dans les deux oeuvres principales de la soirée: un pot-pourri agréable mais peu surprenant de Jean-François Heisser sur les Symphonies de Beethoven et une transcription très réussie (avec renfort final de cuivres et timbales) de l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Faisant oublier les deux autres duos (Brière-Latour et Morel-Nemisch) de la soirée, Angela Cheng a établi avec ses partenaires un climat de complicité, un sens de l'élan, des nuances et de la fête en musique qui faisaient plaisir à voir et entendre. Elle fut le phare de cette fin de semaine et mérite une réinvitation séance tenante avec ses complices pour une soirée du même tonneau dans un proche avenir.
Collaborateur du Devoir