Vitrine du disque - Décapant Art Blakey
Voilà une excellente idée. La compagnie britannique Proper a regroupé sur deux compacts quelques-uns des enregistrements réalisés par Art Blakey et ses Jazz Messengers avant ce qu'on pourrait appeler la grande époque du groupe, soit la période Blue Note.
Ce qu'on nous propose aujourd'hui se résume comme suit: les pièces gravées entre 1948 et 1954. Autrement dit, on nous présente les débuts d'un des quatre ou cinq meilleurs groupes qu'il y ait eus dans l'histoire du jazz. L'esthétique musicale? Le hard-bop. Batteur puissant, rythmicien implacable, Blakey avait un parti pris d'autant plus évident pour la face dure du «bi-beaupe» qu'il en était un des principaux acteurs.Ce double album a ceci de passionnant qu'il nous permet d'entendre aux côtés du chef d'immenses musiciens. On pense avant tout aux trompettistes Kenny Dorham et Clifford Brown, aux pianistes Walter Bishop et Horace Silver, au saxophoniste Lou Donaldson. On pense surtout à Gigi Gryce, ce merveilleux altiste dont on a oublié qu'il fut également un compositeur vivifiant. Ça virevolte, ça décape et c'est convaincant.
ENFANT MAGIQUE
Éric Gingras
(Indépendant)
Lorsqu'il ne joue pas avec Fly Pan Am ou Cian Éthrie, Éric Gingras donne dans la chanson minimale et introspective. Sur son premier album, intitulé Enfant magique (qu'il fait paraître lui-même de façon modeste), on peut déjà entendre une musique folk, aussi triste qu'apaisée, qui déborde d'imagination. En français ou en anglais, Gingras se débrouille plutôt bien sur des morceaux comme Les Chutes de papier, Lost River ou la très sereine La pluie ne dérange que les heureux. On parle ici d'une voix nerveuse accompagnée d'une simple guitare (et quelques effets subtils) qui évoque une mélancolie quotidienne plutôt rustique. À la manière de Bonnie Prince Billy ou de Vincent Gallo, Éric Gingras raconte ce qui lui passe par la tête sans trop se soucier du reste. Une forme d'insouciance habite ces courtes pièces qui s'inspirent davantage de la tradition folk américaine que de la chanson typiquement québécoise. Malgré un son très cru, cette musique séduit avec ses airs intimistes et ses imperfections. Une vraie trouvaille.
CLASSIC LIBRARY
L'étiquette RCA réédite à tarif réduit des grands titres de son fonds de catalogue. La collection qui en résulte, «Classic Library», s'enrichit trois fois par an d'une quinzaine de parutions, occasion en or de glaner à bon prix quelques solides piliers de discothèque.
La dernière vague de quinze parutions comprend au moins trois titres électrisants, au premier rang desquels une sélection de six Ouvertures de Rossini par Fritz Reiner et l'Orchestre symphonique de Chicago. Cet enregistrement de 1958 (très bonne stéréo) n'a pas vieilli et témoigne de la poigne du chef hongrois, mais aussi de son travail d'orfèvre. Reiner n'a été égalé sur ce terrain que par Szell, Guilini et Peter Maag. Dans le même registre exalté, on citera la Symphonie en ré et Le Chasseur maudit de César Franck par Charles Munch à Boston, ainsi que le dernier des nombreux enregistrements que Leopold Stokowski fit de Schéhérazade de Rimski-Korsakov.
À ces approches dionysiaques s'oppose l'élégance absolue de deux grands seigneurs: Günter Wand dans les Symphonies nos 39, 40 et 41 de Mozart et Colin Davis, à la tête de la Staatskapelle de Dresde, orchestre aux timbres fruités, dans les Ouvertures de Berlioz. Pour compléter le panorama, on trouvera sous la direction de Leonard Slatkin le couplage idéal, et très généreux, des trois concertos de Samuel Barber.
Christophe Huss
GRIEG
Peer Gynt (version de concert sur le drame d'Ibsen). Hakan Hagegard (Peer Gynt), Marita Solberg (Solveig), Orchestre philharmonique de Bergen, dir.: Ole Kristian Ruud. Bis 2 SACD 1441/42 (distr.: SRI).
Voici Peer Gynt comme vous ne l'avez jamais entendu: près de deux heures d'une version de concert semi-scénique, mêlant la pièce d'Ibsen et la musique de scène composée par Grieg, y compris les ambiances sonores s'insinuant dans le théâtre. On est décontenancé au début par la récitation en norvégien, mais celle-ci est traduite en anglais dans la notice et n'est ainsi pas plus compliquée à absorber qu'un opéra en italien ou en allemand. On notera au passage le soin apporté à la cohérence des ambiances sonores entre les passages chantés et parlés.
La musique, elle, n'a jamais sonné avec plus de vérité, plus de fulgurances, plus de justesse. Seul Blomstedt à San Francisco (Decca, supprimé) a approché ici l'éloquence et la force de la direction d'Ole Kristian Ruud, qui est en train de constituer une anthologie Grieg de référence pour l'étiquette suédoise Bis. Ce disque éclipse sans peine les quatre (P. Järvi, Temirkanov, Blomstedt-EMI, Tourniaire) autres CD de Peer Gynt édités ou réédités dans les derniers mois!
C. H.