Intense Kerson Leong

Le couple que forme le violoniste Kerson Leong avec son Guarneri del Gesu prêté par la Fondation Canimex est vraiment extraordinaire.
Photo: Marco Borggreve Le couple que forme le violoniste Kerson Leong avec son Guarneri del Gesu prêté par la Fondation Canimex est vraiment extraordinaire.

À l’avant-veille de la grande ouverture de saison par l’OSM mardi, le Ladies’ Morning Musical Club, le plus vénérable organisme musical montréalais, tenait le premier concert de sa 132e saison. Le violoniste d’Ottawa Kerson Leong, désormais âgé de 26 ans, s’est montré digne à tous égards de l’honneur qui lui a été accordé.

Il y a une forme de vertige d’imaginer sur cette scène, dans ce contexte, Kerson Leong, que nous avons connu entre l’enfance et l’adolescence. Ce n’est pas que la salle Pollack soit Carnegie Hall ou le théâtre des Champs-Élysées, mais lorsqu’une société de concert témoigne d’une histoire de plus de 130 ans, le violoniste qui joue les Sonates n° 4 et 5 pour violon seul d’Eugène Ysaÿe les joue dans une série de concerts qui a accueilli le compositeur lui-même en 1895 !

Implacable fatalité

Ysaÿe n’a pu évidemment jouer, alors, ces oeuvres, qu’il ne composa qu’en 1924, mais on mesure la charge de l’histoire et le sens des valeurs dans ce contexte. Ceci nous amène à la première considération : il est finalement fort rare de voir des enfants prodiges aussi flamboyants que Kerson Leong devenir des artistes aussi accomplis et intéressants à l’âge adulte.

Que sont devenus les pianistes Dimitris Sgouros, qui enregistrait pour EMI le 3e Concerto de Rachmaninov avec le Philharmonique de Berlin à 14 ans, ou Helen Huang, protégée de Kurt Masur et Warner, alors qu’elle était prépubère ? Et Gianluca Cascioli, lancé par DG dans Schoenberg Ligeti et Boulez à 17 ans en 1997 ? Anne-Sophie Mutter est un rare contre-exemple de cette fatalité d’un intraitable monde musical.

À 12 ans, Kerson Leong était étonnant, éblouissant. Il est devenu impressionnant et intense. La question de sa légitime présence dans l’histoire du Ladies’ Morning Musical Club ne se pose même pas une seconde. Sa tenue sur scène est d’une rigueur singulière. On dirait un moine venu dispenser une leçon philosophique. Cette leçon porte sur le son et on est frappé de voir à quel point le couple que forme le violoniste avec son Guarneri del Gesu prêté par la Fondation Canimex (le mécène Roger Dubois) est extraordinaire.

Culture sonore

En fait, Leong a façonné son art et son langage autour de son violon. Lorsqu’il aborde la Sonate n° 4 d’Ysaÿe, il prend le temps de faire résonner au maximum une corde de sol (grave) saisissante. Cette quête de la saturation sonore dicte le tempo, tout comme la différenciation des textures sonores marque l’interprétation de la 3e Sonate de Brahms, avec un 2e mouvement où il élargit vraiment le vibrato, alors qu’il allège au maximum le 3e volet.

Ses Sonates d’Ysaÿe sont encore plus belles qu’au disque, une parution acclamée par la critique. La comparaison avec la très habile, mais plus lisse version de Hilary Hahn, qui vient de paraître chez DG, est très indicative (par exemple dans la 5e Sonate) de l’incarnation sonore de Kerson Leong, qui fait merveille, aussi, dans une Sonate de Franck incandescente, notamment un 2e mouvement, Allegro, foudroyant.

Si Kerson Leong et sa partenaire Jessica Osborne ont conclu avec, en bis, une transcription des Berceaux de Gabriel Fauré, leur excellente 1re Sonate du compositeur français n’était pas le volet le plus mémorable du concert par manque de plans sonores, d’ombres et de lumières. Il est vrai que Jessica Osborne aime beaucoup l’enrobage un peu systématique par une pédale généreuse, qui ne convient pas en toute occasion. Elle est cependant une pianiste qui « assure » solidement. Le périlleux Finale de la Sonate de Franck, très bien maîtrisé, l’a largement prouvé.

Ladies’ Morning Musical Club

Récital Kerson Leong (violon). Ysaÿe : Sonates pour violon seul n° 4 et 5. Fauré : Sonate pour violon et piano n° 1. Brahms : Sonate pour violon et piano n° 3. Franck : Sonate pour violon et piano. Jessica Osborne (piano). Salle Pollack, dimanche 10 septembre 2023.

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