Le partage selon Bad Religion

Brian Baker de Bad Religion au Warped Tour, le 29 juin 2019 à Atlantic City, dans l'État du New Jersey
Photo: Corey Perrine Getty Images via Agence France-Presse Brian Baker de Bad Religion au Warped Tour, le 29 juin 2019 à Atlantic City, dans l'État du New Jersey

Brian Baker aussi l’a ressenti : depuis la fin de la pandémie, quelque chose a changé dans l’énergie du public durant un concert. « Il y a eu un moment où on s’est même demandé si nous pouvions à nouveau réunir une grande foule dans un même lieu pour un concert. J’ai été tellement rassuré de voir l’enthousiasme des fans à notre retour, et comme notre auditoire a tendance à être moins méprisant à propos de la science, on les voyait, portant le masque, se lancer dans le pit pour se bousculer pendant qu’on jouait. C’était beau à voir ! » témoigne le guitariste de Bad Religion. Le groupe sera en concert dimanche sur les plaines d’Abraham, lors d’une affiche 100 % punk coiffée par Green Day.

Avez-vous aussi remarqué, Brian Baker, si l’ambiance délétère de notre époque, guerrière et climatiquement éprouvante, a une incidence sur l’humeur des fans pendant vos concerts ? « Voilà une bonne observation », répond le vétéran du punk américain, rejoint chez lui au New Jersey, de retour d’une série de concerts en Europe.

« Dans une certaine mesure, oui : plus les gens vivent des problèmes, plus l’expérience d’un concert servira de défoulement collectif, comme celui qu’on s’apprête à donner au Festival d’été de Québec. Assister à un spectacle, c’est une manière de prendre une pause de notre quotidien et de se faire du bien. Pour ma part, le seul moment où je me sens vraiment libre, c’est lorsque je suis sur scène, à faire ce que je sais faire de mieux, à me concentrer à donner le meilleur concert possible. Si c’est bon pour moi, alors je suis sûr que c’est bon aussi pour le public. »

La pandémie a retardé le cours de la tournée du 40e anniversaire de Bad Religion, légende du punk américain auquel s’est joint Baker il y a 29 ans, après avoir écrit sa propre page de l’histoire de cette scène à titre de membre fondateur du mythique groupe Minor Threat, héros du « do-it-yourself », inventeur (malgré lui) du mouvement straight edge (pas d’alcool, pas de drogue, éloge du self-control), dont le nom est emprunté au titre du brûlot de 46 secondes du premier micro-album du groupe, paru en 1981. Bad Religion honore toujours aujourd’hui les engagements reportés par les confinements, ce qui retarde la production, déjà promise, de son 18e album, dont l’écriture est déjà commencée, confirme Baker.

Intemporels

Le guitariste s’y attelle dans ses journées de congé « et notre époque ne manque pas de sujets inspirants, n’est-ce pas ? » Et davantage pour un groupe rock militant comme Bad Religion. « Ce qui m’inspire aujourd’hui ? Impossible d’ignorer la marée montante d’attaques contre nos libertés par l’extrême droite — et ce partout dans le monde, pas seulement aux États-Unis. N’importe qui d’attentif à l’état du monde a noté cette alarmante tendance pour une pensée déraisonnable et antihumaniste. C’est incroyablement frustrant, au point qu’il devient difficile de lire les manchettes quotidiennement, mais je sens que je dois le faire quand même. »

Le dernier album de Bad Religion, Age of Unreason, composé pendant les années Trump, cherchait à sensibiliser les fans à cette déraisonnable dérive à droite qui empiète sur les droits d’un tas de collectivités qui, on le constate aujourd’hui, ne peuvent plus prendre leurs libertés pour acquises. La trace puante du président orange était évoquée, mais l’homme jamais nommé.

« Nommer les gens, ça vieillit mal, estime le musicien. On cherche à composer des chansons qui peuvent demeurer pertinentes, dix ans après une élection présidentielle. Je crois surtout que ce qui rend l’oeuvre de Bad Religion pertinente encore aujourd’hui, c’est que les textes sont intemporels. C’est une chose de dire : « the President sucks ! », mais à ce niveau-là, le discours est plutôt limité… Par contre, si tu te penches sur une problématique qui affecte plein de gens en braquant la lumière dessus, ça donnera certes une chanson avec un texte plus lourd, mais le public pourra mieux s’y identifier. »

Photo: Kevin Winter Getty Images via Agence France-Presse Mike Dimkich, Jay Bentley, Greg Graffin, Brett Gurewitz et Brian Baker du groupe Bad Religion sur scène au KROQ Absolut Almost Acoustic Christmas le 8 décembre 2018, en Californie

Depuis quatre décennies, le chanteur Greg Graffin a contribué à éveiller les consciences avec les textes de ses chansons. À ses côtés, Brian Baker, maître de guitare punk, a défini l’évolution de la scène punk à coups d’accord barrés. « Moi, un maître ? ricane-t-il, surpris. J’aimerais bien en être un… mais je comprends ce que tu veux dire. J’ai joué de la guitare dans tous ces groupes, depuis si longtemps. J’ai contribué à définir le son du punk américain. Mais au fond, je fais simplement ce que je sais faire le mieux. »

Le titre de maître, ou de professeur, conviendrait mieux à Graffin, fait remarquer le guitariste. « D’ailleurs, il enseigne dans la vie », rappelle-t-il à propos de son collègue, docteur en zoologie de l’University Cornell. « Professeur dans la vraie vie et docteur dans l’art de livrer ses textes à un auditoire qui a changé avec le temps. On remarque que l’auditoire s’agrandit. Des pères et des mères assistent à nos concerts avec leurs fils et leurs filles et partagent la même excitation. C’est difficile à décrire, mais en quelque sorte, l’objectif de notre démarche : le partage de la musique, mais aussi d’informations, de connaissances — d’une manière peu conventionnelle, j’en conviens. »

Bad Religion se produira sur les plaines d’Abraham dimanche soir, lors de la soirée de clôture du Festival d’été de Québec.

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