Guillaume Bordel essaie de se contenir

Guillaume Bordel se qualifie d’éponge musicale, et est un admirateur de ce qu’il appelle le «vieux Québec», citant au fil de la discussion Charlebois et Ferland, dont il admire l’utilisation des claviers sur l’album «Jaune».
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Guillaume Bordel se qualifie d’éponge musicale, et est un admirateur de ce qu’il appelle le «vieux Québec», citant au fil de la discussion Charlebois et Ferland, dont il admire l’utilisation des claviers sur l’album «Jaune».

Par où commencer ? Guillaume Bordel est dur à cerner. Le début d’abord : il fait paraître ce vendredi un premier disque complet, Enfanfleur. Il le présentera même ce vendredi soir au premier jour des Francos de Montréal, sur une scène extérieure gratuite. Et parler avec lui est à la fois un plaisir et une aventure, à l’image de son album.

« Scuse-moi, là, mais je vais me lever pour te dire ça. » C’est la troisième fois que Guillaume Bordel se dresse à côté de la table à pique-nique du parc pour prendre de l’amplitude dans ses explications. Dans son veston brun qui recouvre une chemise blanche brodée, il donne tout un spectacle aux écureuils et au journaliste. Et on n’a pas encore parlé de ses cheveux coupés au bol, teints en orange — « une couleur que ma mère aime ».

Le musicien de 34 ans est tout sauf beige. Il est passionné de productions télé — « j’ai fait un petit EP à propos de l’émission Mémoires vives » — et d’humour — « dans mes références, entre autres pour les photos, il y avait les Denis Drolet ». Tout cela se distille d’une certaine manière dans sa création, celle que l’on peut voir et entendre sur Enfanfleur.

Au fil des 12 chansons, Guillaume Bordel plonge la plume dans ses failles et dans ses souvenirs, souvent dans les deux à la fois. Mais il évite globalement le misérabilisme, troquant les larmes pour les traits d’esprit, non sans étendre ici et là une couche de bonheur aux allures de dose de Polysporin. Et en plus, il couche ses textes sur une accrocheuse chanson rock aux accents yé-yé, mise en valeur par le réalisateur Dany Placard.

« Je voulais un disque écrit avec le coeur, tu sais ? Quelque chose qui me sortait plus des tripes que de la tête, mettons », explique le natif d’Hérouxville et musicien autodidacte, formé à coups d’analyse savante des positions de doigts de Kurt Cobain sur sa guitare sur les vidéos YouTube de l’album MTV Unplugged. « Je l’ai écrit comme un rappeur qui fait du freestyle, mais avec une guitare. Les thèmes, ou du moins les phrases clés sont sortis comme ça, puis après j’ai peaufiné. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Au fil des 12 chansons, Guillaume Bordel plonge la plume dans ses failles et dans ses souvenirs, souvent dans les deux à la fois. 

C’est la notion de simplicité qui l’a guidé dans ses compositions. Pour lui, « un TDAH très H et pas pilulé », c’était un défi. Mais pour que son désir de teinter ses musiques de fibres yé-yé tienne la route, c’était là un incontournable à ses yeux. « J’aurais pas pu écrire comme Laurence-Anne ou Klô Pelgag par exemple », mais il a essayé de passer « juste par le petit chemin d’à côté » de la normalité. Cela donne des lignes comme « De toutes les fois où je suis tombé en bike / Aujourd’hui, je conduis sans les mains » (Deux milligrammes) ou « Dans ma minivan, j’écoute du Donovan dans le parking du Walmart » (Minivan).

Certaines approches font écho à Jérôme 50 ou à Philémon Cimon, voire The Band ou même un Pierre Lalonde, tiens. « Pierre Lalonde, c’est quasiment gênant à dire, mais je suis fan, lance Guillaume Bordel, un diplômé de l’École nationale de la chanson. Pas pour les textes, je trouve ça un peu dégueulasse cette époque des charmeurs pour qui c’est “viens icitte je vais t’embrasser de force”. Mais j’étudiais beaucoup les mélodies vocales versus la musique, et ce que ça amène dans l’attitude. Tu rentres dans le jeu, tu sais : c’est un peu lazy, puis je le suis aussi. »

Je voulais un disque écrit avec le coeur, tu sais ? Quelque chose qui me sortait plus des tripes que de la tête, mettons. 

Bordel se qualifie d’éponge musicale, et est un admirateur de ce qu’il appelle le « vieux Québec », citant au fil de la discussion Charlebois et Ferland, dont il admire l’utilisation des claviers sur l’album Jaune. Il vient de s’acheter une guitare usagée « comme celle qu’avait Claude Dubois dans les années 1970 ». Il a aussi beaucoup écouté le dernier disque des Hay Babies — Laura Sauvage sera de son groupe aux Francos —, et en ce moment il confiait être imbibé de certaines pièces d’Elton John.

Enfanfleur, un titre aussi utilisé en logo pour son visuel, a été enregistré « à la Get Back avant la diffusion du documentaire » sur les Beatles, c’est-à-dire en collégialité, ensemble dans la même pièce. Quelques paravents acoustiques séparaient les musiciens, mais tout le monde pouvait se regarder dans les yeux.

C’était tout à fait cohérent avec l’ambition de Guillaume Bordel pour ce disque : faire des spectacles. Déjà en composant avec sa guitare, devant son micro, « je me fermais les yeux, je m’imaginais où je voulais jouer cet album-là. Je me voyais plus dans des festivals d’été, je pensais au Festival de la poutine de Drummondville, avec du monde qui trippe. »

Aux Francos ce vendredi à 19 h, il compte passer une bonne partie de son heure sans guitare, une façon de « se lancer un peu dans le vide ». « Je vais compenser par la danse ! » dit-il. Guillaume Bordel a tenté de se contenir sur disque, il se lâchera lousse sur scène.

Guillaume Bordel

Enfanfleur, Costume Records. En spectacle aux Francos sur la Scène SiriusXM, le 9 juin à 19 h.

À voir en vidéo