«Bienvenue au pays»: sur le divan avec Robert Robert

Une journée printanière montréalaise comme on les aime : un soleil radieux et une légère brise fraîche imprègnent l’avenue du Parc dans le Mile-End. Il est 11 h du matin, Arthur Gaumont vient d’engloutir une crème glacée bien sucrée. Franchement, pourquoi pas ? Après quelques courtoisies d’usage, l’auteur-compositeur-interprète suggère rapidement de remonter l’artère animée, direction sa maison — plus amicale et confortable pour discuter du dernier album de son alter ego Robert Robert, Bienvenue au pays.
Café à l’avoine en main, chauffe-terrasse allumé. Le téléphone intelligent est prêt à consigner l’entrevue. « Récemment, j’ai travaillé avec Lumière sur une toune, pis je lui ai demandé de m’envoyer des pistes de guitare enregistrées sur son iPhone pour la chanson. Ça marche, c’est ça qu’on a gardé. On ne peut pas vraiment reconnaître que c’est un enregistrement sur téléphone », dit-il d’emblée en fixant le petit écran. C’est vrai, J’aurais dû est un excellent morceau qui ne semble pas tant être DIY.
Lumière, mais aussi Fernie, Vincent Roberge, des Louanges, ou encore Benoît Parent… Les collaborations sont nombreuses sur Bienvenue au pays. « Je suis monté à Québec travailler un peu avec Hub’. Il est nice et il a beaucoup de talent », précise Arthur Gaumont à propos d’Hubert Lenoir, qui signait déjà la co-réalisation de Silicone Villeray en 2021. Et de poursuivre : « Pour cet album, j’ai pris le temps de bien connaître la direction que je voulais lui donner. J’ai ensuite pu ouvrir la porte aux autres parce que je sais tout de suite quand quelque chose marche pour moi. » Selon lui, le concours d’artistes à sa musique doit toujours se faire de manière organique. « Il faut qu’il y ait une connexion à l’histoire et à la personne. »
Le choix de la vulnérabilité
Justement, les récits évoqués dans Bienvenue au pays semblent avoir gagné en maturité, en authenticité peut-être, depuis deux ans. « C’est plus intime parce que Silicone Villeray est le premier album que j’écrivais autant en français, donc j’apprends encore », souligne-t-il.
Arthur Gaumont continue ainsi d’apprivoiser sa prose au fur et à mesure qu’il fait paraître de la musique. Et si ses chansons sont souvent très personnelles, elles n’étaient jusqu’à présent pas forcément vulnérables. « J’ai pris un chemin beaucoup plus direct et j’ai essayé le moins possible de me protéger du regard des autres et de me cacher derrière des mots. » Pour lui, il est essentiel d’être sincère, d’abord envers lui, puis envers ceux qui l’entourent. « Je fais de l’art dans la vie. C’est le prix à payer : si tu veux que ce que tu fais rejoigne quelqu’un, il faut que ça soit real », confie-t-il.
« Moi j’ai peur de tout, mais je ne montre rien », fredonne-t-il dans l’accrocheur et explicite Peur de tout. C’est la thérapie entreprise par Arthur Gaumont il y a trois ans qui lui a permis de sortir de son cocon. « Je vois quelqu’un et ça change aussi un peu les histoires qui me viennent », remarque-t-il, alors qu’au temps de Silicone Villeray, il vocalisait simplement ce qui se présentait devant les yeux. « Là, maintenant, les souvenirs qui datent de mon adolescence, par exemple, remontent grâce aux sessions que je fais avec ma psy et j’ai pris le temps de les process. »
De fait, le Montréalais estime que les choses deviennent plus consciencieuses, sans pour autant sombrer dans la gravité. « Je ne vis pas de tabous par rapport à ça, c’est comme aller à l’ostéo dans ma tête. S’il y a un truc que je trouve important et que je veux partager, c’est ça », insiste-t-il. Aller consulter pour le bien de sa santé mentale, ouvre, d’après lui, de nouvelles perspectives.
J’ai pris un chemin beaucoup plus direct et j’ai essayé le moins possible de me protéger du regard des autres et de me cacher derrière des mots
Arrêter de refouler
« Quand j’écris des chansons que j’aime, c’est quand quelque chose ne va pas, renchérit l’auteur-compositeur-interprète. C’est là-dedans que c’est le plus facile pour moi de puiser. » Soucieux d’aller de l’avant, il souhaite cependant dépasser les émotions négatives en formulant lui-même ses propres conseils.
« J’essaie de me communiquer des choses rassurantes. Aujourd’hui, cette partie de moi m’appartient plus et je me rends compte que j’ai besoin de dealer avec toutes mes émotions et de grandir simultanément, moins refouler. » Prendre le temps de penser, de vivre et de partager relève désormais de ses rituels. « En fin de compte, même si les détails en soi sont vagues, les gens s’identifient plus au feeling que la toune apporte. »
Quant à sa casquette de producteur et de compositeur qui a fait la réputation de Robert Robert jusqu’ici, Arthur Gaumont l’assume depuis plus longtemps. « J’ai beaucoup d’envies et de trucs que je veux essayer. Ça explique probablement pourquoi les instrumentales ont aussi l’air plus sérieuses », croit-il. Mais ne lui dites jamais qu’il fait de l’électro-pop.
« Ça me fait penser à Nu mă, nu mă iei, nu mă, nu mă, nu mă iei [Dragostea Din Tei d’O-Zone et W&W, NDLR]. C’est pas ce que je fais nécessairement », s’amuse-t-il. Celui-ci compose plutôt une « musique électronique avec une écriture pop », dans un exercice où les filtres sont proscrits et l’intuition, fortement recommandée afin de laisser aux auditeurs la place à l’interprétation. « J’espère que les gens vont ressentir la même liberté que j’ai ressentie en faisant Bienvenue au pays », souffle-t-il enfin.