Préparer «l’effet GES» dans la programmation artistique du Festival Classica

Le Festival Classica, lancé jeudi avec un grand concert choral, se démarque cette année par sa division lyrique, le Nouvel Opéra Métropolitain, inaugurée mercredi avec une création d’Airat Ichmouratov. Tel un chat, le directeur artistique du festival, Marc Boucher, retombe sur ses pieds, parant à toutes les vicissitudes émaillant la trajectoire du festival. On ne s’attendait cependant pas à le voir lier les récents développements artistiques aux gaz à effet de serre !
« Le Nouvel Opéra Métropolitain me redonne une énergie folle, d’autant que le monde lyrique sur la planète doit se transformer et que le principe de Stagione [ces saisons lyriques, comme à Montréal, avec des représentations groupées d’une production, par opposition au système de répertoire, avec une troupe permanente qui alterne les productions] est probablement derrière nous. Les chanteurs interchangeables allant en free-lance à gauche et à droite, ce sera une notion dépassée, car arrive à grands pas dans le financement public la notion de carboneutralité », explique Marc Boucher, interrogé par Le Devoir.
Opéra recyclé
Ceux qui pensaient que les questions de « diversité, de représentativité, d’équité » allaient obnubiler le monde classique pour un bon bout de temps vont être servis : nous voilà déjà passés à autre chose ! « Cela va conditionner la manière dont les arts de la scène vont se développer dans l’avenir ; on va prendre en compte l’impact en GES dans tout ce que nous faisons », indique le directeur général et artistique de Classica.
Marc Boucher se sent du bon côté : « Le Nouvel Opéra Métropolitain se déploie à la salle Claude-Champagne, une salle de 1000 places, travaille en numérique pour une dématérialisation des décors, conçoit des costumes faits en textiles recyclés ou trouvés carrément en friperie ». Le directeur artistique reconnaît que cela répond à des impératifs économiques, mais il revendique une « cohérence avec les nouvelles lignes directrices de financement public ».
« Tous les chanteurs que nous engageons — 25 rôles, dont 23 tenus par des chanteurs québécois à qui nous versons des cachets très concurrentiels avec le marché pour nos trois représentations cette année —, c’est une forme de troupe, et si nous arrivons à développer d’autres projets en collaboration avec d’autres compagnies professionnelles, nous allons créer un écosystème qui, dans trois à cinq ans, arrivera à doubler ou tripler le nombre de représentations au Québec. »
Et Marc Boucher de dramatiser l’enjeu : « La conséquence de la logique inverse est simple : fermons les facultés de musique et les conservatoires pour les chanteurs lyriques, parce que, sinon, nous allons former des chômeurs. Pourquoi ? Parce que le marché international va procéder de la même manière. Par exemple, pour l’opérette de Massenet L’adorable Belboul que nous présentons cette saison, j’étais en discussion avec Mathieu Franot, qui vient d’être nommé à l’Opéra de Reims, et la première question a été : “Il y a combien de billets d’avion et comment allons-nous compenser les GES ?” »
Redéploiement
L’adaptation est le leitmotiv de Marc Boucher, qui trouve dans sa nouvelle initiative lyrique un dérivatif bienvenu à sa tâche de directeur général. « Je suis un quêteur professionnel. Depuis 12 ans, je quête de l’argent à gauche et à droite : c’est la partie un peu lourde de mon travail. Il me fallait donc une idée qui allait me porter, me stimuler. »
Alors oui, il y a la programmation de Classica en Montérégie avec beaucoup de musique française, des hommages à des compositrices et les Suites de Claude Bolling. Mais, fondamentalement, les plans plus profonds de développement ont dû être repensés. La reconversion d’une église en salle de concert à l’horizon 2024 à Saint-Lambert n’est plus à l’ordre du jour, d’autant que Saint-Lambert n’a pas renouvelé son partenariat avec Classica. « L’environnement politique depuis un an et demi a fait en sorte que nous avons été obligés de nous réinventer ailleurs en Montérégie. Conformément à la façon de procéder du financement public du CALQ et de Tourisme Québec, nous assumons une mission en Montérégie. Nous nous sommes tournés vers Longueuil, qui nous a accueillis à bras ouverts, et Boucherville, où nous avons un soutien important pour nous développer. » Le siège social de Classica, à Saint-Lambert, pourrait déménager à Longueuil, mais le développement du Nouvel Opéra Métropolitain demandait de chercher de nouveaux contacts.
« Cela nous a amenés à mettre un pied à Montréal. En janvier dernier, j’ai rencontré Nathalie Fernando, doyenne de la Faculté de musique. Il se trouve que la salle Claude-Champagne a une jauge parfaite pour l’opéra et que la doyenne souhaite remettre cette salle dans le paysage montréalais. Comme nous n’avons pas notre salle sur la Rive-Sud, à quelque chose malheur a été bon : l’idée est d’établir en juin à Montréal, c’est-à-dire pas en concurrence avec l’Opéra de Montréal et avec d’autres compagnies professionnelles, un festival d’opéra. »
Mais une représentation en semaine, c’est un peu court ! « Cette année, nous sommes à une représentation, oui. C’est ce que nous pouvons faire avec nos moyens financiers. Notre objectif est de faire travailler cette génération de chanteurs lyriques exceptionnelle. L’an prochain, nous visons deux représentations pour Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann et Les Indes galantes de Rameau ainsi qu’un concert d’airs de Mozart. »
Marc Boucher compte aussi utiliser la proximité de la salle avec les installations sportives de l’Université de Montréal. L’an prochain, il va toujours y avoir un grand spectacle à l’extérieur en Montérégie, comme cette année, le 10 juin, Dark Side of the Moon, spectacle symphonique, qui devrait rassembler, selon le Festival, 50 000 spectateurs. À la prise de résidence à la salle Claude-Champagne pourra s’ajouter le terrain de soccer Vincent-d’Indy de l’université, tout à côté, d’une capacité de 45 000 personnes, ou le stade extérieur du CEPSUM. « Pour l’an prochain, nous sommes déjà en train de travailler avec Jacques Lacombe et l’Orchestre classique de Montréal à un grand concert populaire en extérieur, et on peut très bien pressentir que Carmen est dans le collimateur. »
Orchestre d’importation
L’édition 2023 se signale par l’absence notable de l’Orchestre symphonique de Longueuil et de son animateur. Ne pouvaient-ils fournir les services musicaux requis par le Festival ? « Comme organisation, nous évitons la controverse publique. Si nous ne souhaitons pas nous associer à une controverse, cela ne veut pas dire que nous ne soutenons pas les musiciennes et les musiciens dans d’autres projets. Par ailleurs, ils ont annoncé qu’ils changeaient le nom de l’orchestre. Or, nous travaillons en Montérégie. Alors, oui, nous avons engagé l’Orchestre de Trois-Rivières et Alain Trudel, mais le programme Fantaisie québécoise, avec des oeuvres de Claude Champagne, de Jacques Hétu et des chansons populaires orchestrées par Gilles Bellemare, c’est un répertoire dans les cordes d’Alain. Nous y sommes donc allés avec la formation dirigée par Alain Trudel. »
Quant à l’état des lieux orchestral à Longueuil et à l’avenir, Marc Boucher se contente de dire ceci : « Nous espérons que l’orchestre redeviendra l’outil citoyen qu’il a toujours été pendant les années de Marc David. C’est le seul souhait que je peux faire et c’est cohérent avec la structure actuelle de financement public du CALQ, puisque nous obtenons des sous parce que nous faisons un travail sur un territoire. »
À ce titre, s’agissant de Classica, Marc Boucher considère que le Nouvel Opéra Métropolitain à Montréal n’entame aucunement les propositions artistiques faites en Montérégie. Il jugera à terme s’il y a lieu de créer deux entités séparées, question qui n’est pas à l’ordre du jour.
Quant à la fameuse plateforme Le Concert bleu, consacrée aux webdiffusions, « elle est prête avec un très haut niveau de rendement audio vidéo », mais plusieurs points sont toujours en discussion, dont les subsides pour le budget de fonctionnement et les nécessaires modifications contractuelles pour les droits de diffusion que Marc Boucher souhaite étendre à cinq ans. À cela s’ajoute une nouvelle embûche : « Avec le tumulte autour de l’intelligence artificielle se greffe un enjeu supplémentaire : l’encryptage des contenus pour que les ChatGPT de ce monde ne prennent pas à gauche et à droite des contenus qui se baladent. Donc là, il nous faut redéposer un budget avant la fin mai qui va tenir compte de l’argent nécessaire pour l’encryptage de tous les contenus, puisqu’on parle de préservation des droits et de métadonnées. »
En concert cette semaine
Rafael Payare dirige la 3e Symphonie de Mahler en clôture de la saison de l’OSM, mercredi et vendredi à 19 h 30 et samedi à 14 h 30.Clavecin en concert reçoit Francesco Corti à la salle Bourgie, mercredi à 19 h 30.
Les Violons du Roy concluent leur saison avec Jonathan Cohen et Marc-André Hamelin, à Québec jeudi et à Montréal vendredi.