Grandiose finale du FIMAV en compagnie de John Zorn

Les jazzmen américains du groupe John Zorn n’ont rien perdu de leur vivacité et ont mis à genoux un public ravi.
Photo: Martin Morissette Les jazzmen américains du groupe John Zorn n’ont rien perdu de leur vivacité et ont mis à genoux un public ravi.

La 39e édition du Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV) s’est terminée dimanche soir de façon triomphale avec un programme double consacré au compositeur et saxophoniste américain John Zorn, dans cette grande salle du Carré 150 affichant complet. Le concert de 20 h nous dévoilait deux nouvelles oeuvres pour trio (acoustique, électrique) signées Zorn, qui a par la suite présenté à ses admirateurs son New Masada Quartet ; avant chaque concert, le public a offert une ovation debout au directeur artistique et cofondateur, Michel Levasseur, qui tirait sa révérence.

« Michel ! Michel ! Michel ! », scandait la foule vers 22 h 15, alors que Levasseur remerciait son équipe et le public avant l’ultime rendez-vous du FIMAV. Son ami John Zorn lui a fait l’accolade avant de diriger ses collègues Kenny Wollesen à la batterie, Jorge Roeder à la contrebasse et Julian Lage à la guitare électrique — l’ingrédient « new » de ce quatuor venant remplacer la trompette du Masada original.

Ils nous ont mis à genoux, les jazzmen. Quelle performance, quel dynamisme, quelle fulgurance ! À 70 ans, Zorn n’a rien perdu de sa vivacité, le souffle puissant, les doigts vifs sur les clés, le geste précis lorsque vient le moment de diriger ses accompagnateurs, leur faisant faire de brusques virages rythmiques par un simple mouvement de la main droite. Cet amalgame de swing et de free-jazz teinté d’influences klezmer qui forme le corpus du Masada songbook rugissait, revivait sur scène grâce à cet ensemble de virtuoses dont les amateurs avaient déjà entendu le travail en studio (le deuxième album du New Masada Quartet est paru en mars dernier, chez Tzadik).

À 20 h, deux trios différents présentaient pour la première fois en sol canadien les compositions récentes (New Music For Trios) de Zorn. Deux performances diamétralement opposées, toutes deux soufflantes, mais on aura davantage apprécié la première suite pour piano, mettant en vedette le virtuose Brian Marsella. Un spectacle en soi de le voir s’exécuter sur les ivoires, sa technique olympienne au service d’une partition mariant le swing classique, la musique contemporaine et les déflagrations free-jazz ; Ches Smith à la batterie et Jorge Roeder à la contrebasse (celui-là, du New Quartet) le soutenaient à merveille. Pour Simulacrum, le jazz virait métal et prog avec trois autres experts, John Medeski au Hammond B3, Matt Hollenberg à la guitare électrique et Kenny Grohowski à la batterie — lourd, certes, mais volage, habile, étourdissant.

Plus tôt dans la journée, entre deux performances noize — celle d’abord des Japonais FUJI||||||||||TA et EYE, en première mondiale, puis des Français Nina Garcia et Arnaud Rivière —, une autre exquise performance de ce trio d’improvisateurs formé du clarinettiste québécois François Houle, de la batteuse américaine Kate Gentile et du pianiste anglais Alexander Hawkins. D’un free-jazz déchaîné à des improvisations s’approchant de la musique contemporaine (en fin de concert), les trois interprètes démontraient une admirable nuance à travers leur jeu sensible et intelligent. L’enregistrement de ce concert devrait faire l’objet d’un album qu’éditera Disques Victo.

Le programme du samedi s’est avéré nettement plus calme, à notre grande surprise, hormis pour la chaleureuse performance du vétéran batteur Guy Thouin et l’Ensemble Infini, toujours au Carré 150. Emballante conversation entre ces dix musiciens, desquels s’est démarquée Elyze Venne-Deshaies (saxophone ténor, clarinette basse), qui agissait aussi à titre de cheffe d’orchestre, dirigeant avec fermeté le trafic sonore qui embouteillait nos tympans.

Ensuite ? Des caresses. Le parcimonieux saxophoniste américain Dave Rempis, en duo avec le guitariste bhoutanais Tashi Dorji : on s’attendait à un orage free-jazz, on a plutôt eu un délicat et précieux dévoilement d’harmonies et de textures. Pareil du côté de la Montréalaise Lori Freedman, en quintette avec son projet BeingFive : il fallait tendre l’oreille pour bien goûter aux jeux de textures, aux menues sonorités du souffle du trompettiste Axel Dörner. À la fin, Yorgos Dimitriadis aurait pu retourner sa batterie avec la facture, elle a à peine servi, se concentrant plutôt sur ses cymbales. À écouter les yeux fermés.

Et de même, on s’attendait à une performance plus musclée du quatuor formé d’Elliott Sharp (guitare électrique), Colin Stetson (saxophones), Billy Martin (batterie) et Payton MacDonald (marimba et vibraphone). Loin de là : de l’avis des festivaliers vétérans, le furieux Elliott Sharp d’antan a joué le concert le plus doux qu’il ait donné en sol québécois. Stetson, que l’on sait imposant sur scène, a même mis la pédale douce, comme pour laisser MacDonald s’exprimer à son aise sur ses instruments. Plus minimaliste que jazz, la performance envoûtait sans jamais choquer l’oreille — nettement moins dense que sur l’album Void Patrol, paru à l’été 2022.

Lors de son point de presse bilan, le directeur sortant ne pouvait être plus heureux de sa 39e édition, tant sur le plan de la programmation que de l’achalandage — son bilan n’était pas encore chiffré, mais Michel Levasseur percevait enfin un retour en forme « prépandémique » du FIMAV. Des regrets d’avoir pris la décision d’abandonner son rôle à l’aube du 40e anniversaire ? « Non, aucun ! », a-t-il répondu, répétant en avoir assez de la pression qui vient avec la fonction de directeur général et artistique.

Le chemin vers la 40e édition du FIMAV ne sera pas simple pour son successeur — ses successeurs, puisque l’organisation recherche un tandem de codirecteurs pour les remplacer, lui et sa conjointe, Joanne Vézina. « Cinq ou six » candidats au poste de directeur artistique sont en lice ; la décision du conseil d’administration sera annoncée en septembre prochain, ce qui ne laissera que quelques mois à la nouvelle direction pour boucler la programmation du prochain FIMAV, en mai 2024. Il audra se retrousser les manches.

Notre journaliste était invité par le FIMAV.

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