Julien Chauvin-Arion: petit-déjeuner à Cracovie

Le chef français Julien Chauvin, fondateur et directeur musical du Concert de la Loge, dirige Arion en cette fin de semaine. Sa présence a un impact immédiat sur le son de l’orchestre pour une « thérapie » qui ravira les amateurs de pugilat musical.
Dans une scène culte du film français non moins culte Les tontons flingueurs de Georges Lautner (1963), des gangsters attablés, à court de boisson, sortent une bouteille de whisky frelaté. « Faut reconnaître, c’est du brutal », constate Bernard Blier. « J’ai connu une Polonaise qui en prenait au petit-déjeuner ! », réplique Lino Ventura. Il en va ainsi du baroque psychorigide au vitriol. On peut trouver que ça « fesse », mais d’autres peuvent s’en délecter à toute heure.
Sportif
Nous avions certes de Julien Chauvin une vision de « missionnaire de la chose baroque » à travers ses disques, mais il nous avait échappé à quel point son envie d’en découdre avec la musique, dont il fait une sorte de discipline comme d’aucuns soulèvent des haltères dans des clubs de gym, pouvait rendre sa manière péniblement soûlante et vulgaire.
Ceux qui se sont assurément amusés et enivrés de sa présence sont les musiciens d’Arion. C’est tout à fait normal. En découdre ainsi avec la musique donne, de l’intérieur, une sensation d’ivresse et d’exaltation extraordinaires. On a l’impression de participer aux Jeux olympiques de la musique avec la gratification d’accomplir une performance, ce mot étant ici pris dans son acceptation française, et non son usage erroné par anglicisme.
Le choc Chauvin est palpable dès les premières mesures de la symphonie de Marie-Alexandre Guénin (1744-1835), symphoniste français prérévolutionnaire. Avec l’absence totale (et donc dogmatique) de vibrato, le son d’Arion est différent, plus abrasif, « vert » (mais juste en intonation, par rapport à des phases de l’Arion d’antan). L’approche musicale, de type sportive-agressive, repose sur des jeux de contrastes dynamiques très poussés. À ce stade, on a encore le mince espoir que Mozart ressemblera à Mozart.
Le jeu du cirque
La question « Quel est l’ambitus dynamique ? » est un élément de réflexion qui nourrit l’interprète mozartien. Julien Chauvin apporte la réponse attendue après Guénin : ça cogne, au point même où dans les derniers accords de la Jupiter, la timbale éclipse la montée vers la lumière des trompettes.
Puisque nous parlions de vulgarité, le concept a eu son incarnation absolue avec Daniel Lanthier, soliste du Concerto pour hautbois. Pourquoi faire du hautbois soliste dans ce concerto un instrument qui « beugle » à ce point ? S’il y a de l’humour chez Mozart, il y a aussi une élégance. Par ailleurs, toutes les notes à côté (notamment dans le 1er mouvement) ne sont pas une fatalité : Frank de Bruine dans son enregistrement avec Frans Brüggen joue du même type d’instrument, impeccablement juste et avec classe.
En dépit de ce qu’il semble penser, Daniel Lanthier n’est pas, mais alors pas du tout, le Lorenzo Coppola du hautbois. Ce jeu du cirque, qui a atteint un zénith au 3e mouvement par moult facéties a cependant impressionné une partie non négligeable du public qui a oublié les approximations au profit du « show ». Les excès de zèle du même Lanthier dans l’orchestre de la Symphonie nous ont valu quelques déséquilibres polyphoniques mal placés.
PT Cruiser
Tout n’est pas à jeter dans l’approche de Julien Chauvin de la Jupiter, notamment dans les 3e et 4e mouvements (une belle mise en relief des violons 2 dans l’exposition). Mais pour une Jupiter à 5-4-3-2-1 (nombre de violons 1, 2, alto, violoncelles et contrebasse) sans vibrato, il faut que le pupitre de violons 1 joue sacrément à l’unisson afin que ça marche. Le 1er mouvement sera meilleur de ce point de vue samedi et dimanche pour ceux qui imaginent qu’une Jupiter à 15 cordes puisse les emporter au nirvana…
Le problème, là aussi, est que même si on dresse l’oreille, par exemple dans le Menuet, il y a, avec Julien Chauvin, immanquablement un irritant qui nous ramène sur terre. Ainsi, ses « lancers de mains » en direction des trompettes étaient tellement épate-gogos que l’on venait à songer en termes d’esbroufe à l’inoubliable Clotaire Rapaille, tentant de fourguer ses visions géniales de la PT Cruiser à un Régis Labeaume médusé.
Bon, à nous voir penser à tout cela, vous aurez compris que même si vous en prenez plein la poire ce week-end et que vos oreilles sont transformées en « punching-ball à décibels », vous ne vous ennuierez pas et, à moins de devenir fou avant la fin, vous en conclurez que le bon Wolfgang en a vu d’autres.
Ah, si vous voulez savoir pourquoi nous avons lié la Polonaise du petit-déjeuner à la ville de Cracovie, et pas Varsovie ou Wroclaw, c’est parce que Cracovie abrite la bibliothèque Jagellonne, la plus ancienne bibliothèque d’Europe centrale qui compte de nombreux manuscrits musicaux, notamment de Mozart, dont celui de la Symphonie Jupiter !
Arion : saison 2023/24
Les spectateurs du concert ont reçu la programmation de la saison prochaine d’Arion présentée par Mathieu Lussier.
Nous en retenons : Le premier Messie de Händel en 42 ans d’histoire d’Arion, dirigé par Andrew Mc Anerney.
Le premier Requiem de Mozart en 42 ans d’histoire d’Arion, dirigé par Mathieu Lussier (version parisienne révisée sous la houlette de Cherubini).
Un Concerto pour piano d’Hélène de Montgeroult avec le pianiste Élisabeth Pion qui sera enregistré en disque.
Francesco Corti, Sophie Gent et Franck-Emmanuel Comte comme chefs internationaux invités.