S’accorder (en genre et en nombre) avec Daniel Bélanger

Fébrilité ? Oui. Joie anticipée ? Pas à moitié. Suspense ? Pas vraiment. Une première de spectacle de Daniel Bélanger, fut-ce dans la même salle où il triompha la dernière fois (en mars 2017, pour la tournée de l’album Paloma), n’inquiète en rien. Ça ne peut pas être moins. Ça n’a jamais été moins, Bélanger. Improbable ? Impossible.
Encore faut-il qu’il s’amène, le Daniel bien-aimé. Une première partie pas trop prévue retarde l’allégresse. Qui ? Ce type qui se fait appeler Lumière, dont l’album Glam a été avantageusement remarqué le mois dernier. Guitare-voix, il se la joue star en devenir, se réfère à Leloup et à Charlebois. On retiendra pour l’instant qu’il ne se prend pas pour un demi-pamplemousse. Paraît qu’il ne sera pas là les quatre soirs de Bélanger. On est mal tombés, voilà tout. Concluons au non-lieu.
Daniel comme chez lui
Accueil de grand champion, vous pensez bien. Pas gêné, il démarre avec une chanson qui n’a pas vraiment essuyé les plâtres, l’une des ambitieuses de Mercure en mai, Soleil devant, qui mêle groove, soul, esprit psych-pop et électro. Sur l’album, Daniel jouait presque tous les instruments. Là, c’est une attaque à cinq, un commando de choc. Le groove l’emporte. C’est tout aussi vrai pour Chante encore. Un son, une attitude.
« Vous êtes revenus ! » Constat complice. Tout le MTelus piaffe. « Je vous fais une mise en garde, il y aura beaucoup de notes. Et ce sera tout en français. C’est à peu près tout. » Et ça reprend avec la très planante Il faut s’accorder. Une merveille de modulations un brin sgtpepperiennes. Avec cette ligne géniale dans son double sens : « Il faut s’accorder en genre et en nombre ».
L’intro bondissante drum’n’bass n’annonce pas Sortez-moi de moi, mais le refrain géant s’extirpe de tout arrangement pour exister séparément, célébré par les gens, qui se sortent les cordes vocales du corps. Tout se prête à ce son compact et rock, autant Il y a tant à faire qu’Imparfait. Tout se chante à l’unisson de la joie. « Vous n’avez pas perdu votre voix de rossignol ! » Ces mélodies, ces montées au refrain, quel vertige. « Le monde est imparfait », chante-t-il à la perfection. Il n’en est pas à une contradiction près, notre héros. La beauté gagne, quoi qu’il chante.
Chaque chanson, une communion
Te quitter : un bonheur (surtout les vocalises à la fin). Intouchable et immortel : un bonheur (le picking électrique en boucle, tout particulièrement, en rythme avec les images de ville en noir et blanc qui déambulent). Dans un Spoutnik : un bonheur (avec intro à la Lindberg, extraterrestre et palpable à la fois, faut le faire). Simple de même. Complexe de même. Daniel Bélanger, magicien terre à terre, génie carburant au gaz hilarant.
Et ça se poursuit au même incroyable niveau d’excellence. Qu’il s’agisse d’hymnes consacrés (Les temps sont fous, Fou n’importe où), de chansons encore toutes fraîches de Mercure en mai (Dormir dans l’auto, Au vent des idées), de revisites inespérées (Respirer dans l’eau, Les deux printemps), on baigne dans une sorte de bien-être inimaginable, on se repaît de cette voix exceptionnellement belle qu’il a et déploie — toujours ! — aux moments idoines. Quand on arrive aux rappels, on est déjà repus. Pensez qu’il ajoute J’entends tout ce qui joue (dans ta tête), Rêver mieux, et même La folie en quatre. Abasourdis de félicité, nous sommes. Tranquillement extatiques. Prêts à affronter la vie, dehors. Sur les trottoirs, on chantera.