François Guy, une flamme qui éclairait la chanson québécoise

François Guy est également connu pour avoir créé des initiatives afin d’encadrer la relève québécoise.
PEDRO RUIZ archives Le Devoir François Guy est également connu pour avoir créé des initiatives afin d’encadrer la relève québécoise.

Tour à tour pionnier du rock québécois, auteur-compositeur-interprète à succès, collaborateur précieux, puis directeur général de la Société pour l’avancement de la chanson d’expression française (SACEF), l’ex-Sinners François Guy est décédé vendredi dernier, à l’âge de 76 ans, après une chute accidentelle. La nouvelle, diffusée tard lundi, a choqué ses proches et le milieu de la musique québécoise, qui perdent un ami, une inspiration, un mentor ainsi qu’un ardent défenseur de la chanson et de sa relève.

Son vieux complice Jean-Guy « Arthur » Cossette, héroïque guitariste des Sinners, encaissait le choc mardi : « François était en superforme physique, a-t-il confié au Devoir. On ne s’attend pas à ça. [Avec les Sinners], on formait une équipe assez spéciale. Il régnait entre nous une grande camaraderie ; avec nous, il y avait toutes sortes de controverses, mais c’était voulu, c’était pour amuser le public et ça marchait. On voulait que le monde ne nous oublie pas ».

« François était un type très avant-gardiste et très brillant, très intelligent, ajoute Arthur. Nous, on n’avait qu’à le suivre. » En le suivant, le quatuor des Sinners a marqué à jamais l’histoire du rock d’ici avec un son explosif. On doit à l’orchestre le chef-d’oeuvre psyché-rock Vox Populi (1968), « le premier album concept de l’histoire du rock québécois, un monument, un des grands albums psyché-pop du Québec », rappelle Sébastien Desrosiers, collectionneur et historien du patrimoine musical québécois. « François et sa gang sont les premiers au Québec à être irrévérencieux, sur disque comme sur scène, où ils détruisaient leurs instruments. Mais ils sont aussi les premiers à faire une tournée dans le Grand Nord québécois, et ça, ce n’est pas rien. »

« Un jour, mon cousin [Louis Parizeau, batteur des Sinners] m’appelle : “Hey, ça te tentes-tu d’être chanteur ?” racontait François Guy au micro de Franco Nuovo lors d’une longue entrevue diffusée à ICI Première le 1er mai dernier. C’était l’effervescence des Beatles, des Rolling Stones : j’ai commencé à chanter et, tout de suite, je me suis aperçu que, bien que les plus grands succès des Sinners aient été des traductions [de succès anglophones], il fallait écrire nos chansons parce que c’était plus intéressant. »

En 1967, un an après avoir enregistré son premier 45 tours, les Sinners accédaient à la reconnaissance populaire grâce à Ne reste pas sous la pluie, reprise de Don’t Go Out Into the Rain, d’Herman’s Hermits, puis à Penny Lane, la voix claire de François Guy s’élevant au-dessus de l’orchestre. En face B du succès des Beatles, cependant, se trouve la précieuse Les grèves d’aujourd’hui, une minute cinquante-quatre secondes de rock puissant, une chanson écrite par le chanteur Charles Prévost-Linton et François Guy. Deux ans plus tard, sous le nom La Révolution Française, les membres des Sinners et leurs amis offraient l’immortelle Québécois, composée par François Guy, Angelo Finaldi et Richard Tate.

« À une époque où on entendait plein de chansons yé-yé préfabriquées, beaucoup de versions francophones de succès populaires, les Sinners étaient plutôt un laboratoire de recherche et de création — ils essayaient plein de choses et faisaient un rock irrévérencieux », résume la documentariste Guylaine Maroist, des productions La Ruelle, qui a piloté la réédition des albums des Sinners et imaginé l’Outrage aux Sinners présenté au festival Coup de coeur francophone en 2002.

« Le pionnier, le défricheur et l’avant-gardiste »

De François Guy, « on devrait retenir le pionnier, le défricheur et l’avant-gardiste », insiste Sébastien Desrosiers. L’avant-gardiste fut bien en vue dans le film culte « de gogo-vérité » Kid Sentiment, réalisé par Jacques Godbout en 1968, dont les Sinners signaient la bande-son. « On se souvient de lui comme l’ancien Sinners, des frasques — plus mythiques que véridiques — du groupe, d’un ou deux hits, mais on connaît mal son oeuvre », ajoute l’historien en louant ses chansons, à commencer par celles de son premier album solo (1973). Au fil des ans, il en aura écrit des dizaines pour Donald Lautrec, Michel Pagliaro, Boule Noire (Georges Thurston), Toulouse, Francine Raymond (son succès Y’a les mots), Chloé Sainte-Marie et plusieurs autres.

En 2000, François Guy prenait les rênes de la SACEF, multipliant les initiatives pour encadrer la relève et la rapprocher de son public, avec des projets de résidences de création et de tournées comme Le grand huit et Du haut des airs. « Ce qu’il a beaucoup fait, c’est accompagner les interprètes, notamment dans la sélection des chansons que les jeunes interprétaient : plutôt que de reprendre toujours les grands succès de Starmania, par exemple, il constituait une banque de chansons modernes pour les jeunes. Il ne tournait pas autour du pot dans la façon d’animer et de diriger la relève », témoigne Alain Chartrand, directeur du festival Coup de coeur francophone et frère d’arme de François Guy dans la défense de la chanson québécoise.

Ancienne participante au concours Ma première Place des Arts organisé par la SACEF, l’autrice-compositrice-interprète Catherine Major a bénéficié du mentorat de François Guy : « C’était quelqu’un qui n’avait pas la langue dans sa poche, et donc quelqu’un qui démarrait des projets, qui brassait la cage des jeunes artistes pour essayer d’aller chercher le meilleur d’eux et de les remettre en question. Je l’ai ensuite croisé durant toute ma carrière, il a toujours été présent pour moi et [et m’a toujours donné] plein d’encouragements. Il avait la flamme, c’était un passionné. »

Le départ de François Guy laisse dans le deuil sa compagne, Isabelle Lajeunesse, ses enfants, Félix et Zoé, et plusieurs générations de mélomanes

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