VioleTT Pi et le prix de la liberté

Sur «Baloney suicide», «chaque chanson est une atmosphère en soi, un mood différent», suggère Gagnon.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Sur «Baloney suicide», «chaque chanson est une atmosphère en soi, un mood différent», suggère Gagnon.

Après sept ans de silence, l’auteur-compositeur-interprète Karl Gagnon, alias VioleTT Pi, est mûr pour un retour, sur scène et sur disque. Baloney suicide, titre de son troisième album, est moins cryptique qu’il n’y paraît : il y sera question de la mort qu’on se donne et de la notion du faux et de l’illusion, puisque « le baloney, pour moi, c’est de la fausse viande ».

Le flash lui est venu en tant que témoin de la dégradation d’un proche encaissant une série de revers personnels en s’empiffrant de ces trucs qui nous rapprochent de notre destin. Soyez rassurés, cet album est moins glauque qu’il n’y paraît, même s’il fait référence à Gilles Deleuze, à Kurt Cobain et à la bipolarité.

Un brin de contexte : Baloney suicide est à l’origine le titre d’un recueil de poésie que VioleTT Pi a fait paraître en 2019 aux éditions La Mèche. De courts textes, presque des haïkus « rédigés sous influence de poutine et de rock’n’roll », disait alors le communiqué. « Ce qui est drôle, explique Karl Gagnon, c’est que y’a rien du livre qui se retrouve sur l’album — sinon des concepts qui se ressemblent. »

Le recueil est constitué de petits textes tapés à la dactylo sur des Post-it, des strophes « pleines de fautes, écrites avec des ratures, on dirait des morceaux de papier trouvés sur le sol. L’objectif est dans l’exercice, c’est-à-dire se forcer à écrire quelque chose tous les jours, tout ça pour m’aider ensuite à écrire un nouvel album, pour me permettre de saisir plus rapidement le sujet d’une chanson. Ça aide aussi d’écrire sur des Post-it : la contrainte d’espace me forçait à être concis, à inventer des histoires brèves avec un début, un milieu et une fin qui tiennent sur un petit bout de papier. Fallait que ça punche. Un texte par jour, trente par mois, j’écrivais vite, mais avec une intention littéraire. Aller droit au but, tout en étant beau à lire ».

De la poésie instantanée, mais de la poésie avant tout. Comme chez Keith Kouna, l’oeuvre musicale de VioleTT Pi est avant tout proche de la grande chanson, le texte mis en valeur, la voix scintillante de Gagnon empreinte d’un lyrisme qui contraste avec la forme électro-rock expérimentale de ses orchestrations. Sur Baloney suicide, « chaque chanson est une atmosphère en soi, un mood différent, suggère Gagnon. Ce que je trouve extrêmement difficile à faire tout en étant convaincant, mais ça m’amusait d’imaginer l’album comme ça, comme si chaque chanson était son propre album, avec son propre concept. Lorsque je le réécoute, je trouve que ça marche — c’est comme de petites perles qui, mises ensemble, forment un collier ».

Deux grands thèmes sont apparus en enfilant le collier : « Je voulais réellement parler de suicide et de la notion du faux, précise VioleTT Pi. Toutes les chansons tournent autour de ces thèmes, mais une fois que j’ai dit ça, la manière dont j’en parle est abstraite », comme dans Pollen saturnien, illustre-t-il. « Il y a cette personne atteinte d’une maladie mentale, et un de ses proches qui se questionne : peut-il l’abandonner à son sort ? C’était mon idée de base. »

[Sur Baloney suicide,] chaque chanson est une atmosphère en soi, un mood différent. Ce que je trouve extrêmement difficile à faire tout en étant convaincant, mais ça m’amusait d’imaginer l’album comme ça, comme si chaque chanson était son propre album, avec son propre concept. Lorsque je le réécoute, je trouve que ça marche — c’est comme de petites perles qui, mises ensemble, forment un collier.

La notion du suicide, sujet délicat au Québec, convient Karl Gagnon, y est déclinée de façon « métaphorique », tente-t-il d’expliquer. « Mon album, ce sont des sons et des paroles, personne ne meurt dans mes chansons. Pour moi, c’est très abstrait, le texte se construit comme la musique, de manière insaisissable. Pour la première fois dans un de mes albums, je voulais aborder des sujets qui me font me questionner et me poussent à lire sur le sujet — c’est une curiosité, par rapport au suicide et à l’idée du faux, que je tente d’appliquer dans mes chansons. »

Notre conversation s’égare alors dans tous les sens. Enjoué, excité à l’idée de revenir à la scène, Karl Gagnon parle vite, sa pensée prend des détours du côté de ses influences musicales — la tradition rock alternative québécoise des années 1990 qu’il perpétue dans son oeuvre, la vision rock qui bouscule de M. Bungle (« On entendait davantage l’influence dans mon premier album », relève-t-il), les attributs respectifs de Jean Leloup, de Sparks et de Nirvana — et littéraires, alors qu’il citera les philosophes Gilles Deleuze et Baruch Spinoza.

« Spinoza disait quelque chose comme : la liberté, c’est de savoir qu’on est pris », répond-il lorsqu’on aborde avec lui la totale liberté de création qu’il se donne. VioleTT Pi fait de la chanson sans concession. « Et pourtant, je sais que je suis pris dans quelque chose, malgré tout, dit Karl Gagnon. Ma liberté m’isole complètement de ben des affaires — par exemple, je ne sais pas encore si je serai invité à faire la tournée du ROSEQ », le Réseau des organisateurs de spectacles de l’Est-du-Québec, qui garantit une trentaine de concerts en province.

« Les gens ne comprennent pas tout ce que je fais. [En m’accordant cette liberté], je me mets plus en cage qu’autre chose, mais en même temps, je suis libre de faire ce que je veux. Tout de même, j’ai fait avec Baloney suicide un album un peu plus calme… Je ne sais pas, ça allait de soi qu’il me fallait sortir un peu de ma cage. »

« Dans l’album, j’aurais pu aussi aborder le sujet du suicide artistique, par exemple. Je ne sais pas comment ça serait sorti ? Comment aurais-je pu aborder la notion. De toute façon, tous mes albums en sont un ! » conclut Karl Gagnon en riant.

Besoin d’aide ?

Si vous pensez au suicide ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles en tout temps au 1 866 APPELLE (1 866 277-3553), par texto (535353) ou par clavardage à suicide.ca.

Baloney suicide

VioleTT Pi, L-Abe. Le lancement de l’album aura lieu au Club Soda le 27 avril.

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