Depeche Mode fait pleurer au Centre Bell

Martin Gore (gauche) et Dave Gahan de Depeche Mode à l’occasion d’un concert au Centre Bell mercredi soir, alors que le groupe était de retour à Montréal six ans après sa dernière visite
Patrick Beaudry, SNAPePHOTO Martin Gore (gauche) et Dave Gahan de Depeche Mode à l’occasion d’un concert au Centre Bell mercredi soir, alors que le groupe était de retour à Montréal six ans après sa dernière visite

Pour une rare fois du concert qu’il a donné hier soir au Centre Bell, le chanteur Dave Gahan s’est adressé au public, juste avant le rappel : « Allez ! Laissez-moi vous entendre chanter ! » Et le public de lui répondre : « All I ever wanted / All I ever needed is here in my arms / Words are very unnecessary / They can only do harm ». Enjoy the Silence a ainsi clos presque deux heures de nostalgie synth-pop-rock industriel, alors que Depeche Mode revenait à Montréal, six ans après sa dernière visite.

La dernière fois, Dave Gahan et Martin Gore comptaient encore sur leur fidèle claviériste et bassiste Andy Fletcher, décédé subitement en mai 2022. Les survivants ont offert un hommage tout en sobriété à leur ancien collègue, affichant sur l’écran géant servant de décor une photo en noir et blanc d’un jeune Fletcher, pour la puissante interprétation de World in My Eyes, durant le dernier droit de la soirée qui n’a pas fait grand flammèches, mais qui est parvenu à replonger les 15 700 spectateurs présents dans leurs souvenirs de jeunesse.

Depeche Mode, en vérité, n’est pas sorti des blocs de départs de façon explosive ; l’introduction instrumentale et bruyante traînait des pieds jusqu’à My Cosmos is Mine, puis dans Wagging Tongue, deux chansons tirées du nouvel album. Gore affairé derrière ses claviers, le svelte Gahan dans son veston noir à paillettes bien agrippé à son micro, le groupe était sur scène, mais pas encore en selle. C’est lorsque Gahan a lancé un gentil « Good evening Montréal ! » que la foule s’est réveillée, reconnaissant au même instant les premières notes de Walking in my Shoes, l’un de leurs derniers véritables succès populaires, tiré de Songs of Faith and Devotion (1993).

En trois chansons, nous avions déjà le plan de la soirée : saupoudrer les grandes chansons du répertoire de Depeche Mode en tentant d’en piger dans chaque album, et d’accorder une enviable portion du spectacle à celles de Memento Mori. Ça a donné deux heures d’un bon spectacle, mais un spectacle en dents de scie durant lequel le public se levait d’un seul bond pour chanter avec Gahan Everything Counts (très réussie, avec son groove électro millésimé 1983 puisque tirée de Construction Time Again), la lugubre ballade Speak to Me offerte en milieu de soirée, ou encore I Feel You. Entre ces chéries, le public se rasseyait le temps d’une ballade oubliée ou d’une plus obscure (elles ont tout de même ravi les fans de la première heure, ce fut le cas pour Stripped) qui manquait de tonus.

Si Dave Gahan semblait en bonne forme, le geste théâtral et les ondulations du corps distinguées, le reste de l’orchestre jouait avec la retenue que commandent souvent les chansons mélancoliques et taciturnes de Depeche Mode – le batteur avait enfin l’air de s’amuser sur les chansons plus rock, par exemple In Your Room (Songs of Faith and Devotion). Pour une douceur pop dansante comme A Question of Lust (de Black Celebration, 1986), la bande rappliquait avec une dispensable telle que Ghosts Again du dernier album, avec ses images plutôt clichées où Gore et Gahan rejouent la scène des échecs dans Le Septième Sceau de Bergman.

Photo: Patrick Beaudry, SNAPePHOTO Depeche Mode au Centre Bell, mercredi soir

La scène était des plus dépouillées, les quatre instrumentistes disposés devant un seul écran DEL, au centre duquel était taillée la lettre M ; il y avait une petite passerelle très peu utilisée, par Gahan d’abord, puis Gore lorsqu’il s’est payé son moment de chant solo (A Question of Lust, bien sûr, puis la ballade piano-voix Soul With Me du dernier album). Méga tournée, moyens réduits, mais de toute façon, de les voir là, toujours en vie, avec leurs chansons, compensait l’absence d’artifices. Mais encore, ont-ils chanté toutes nos préférées ? On aurait bien troqué John the Revelator (de Playing the Angel, paru en 2005 puis vite rangé dans le bas de l’armoire) contre Policy of Truth (du classique Violator, 1990) ou n’importe quelle de Music for the Masses (1987). Pouvez-vous croire qu’ils n’en ont même pas joué une de celui-là, même pas Strangelove ?

Ce qui nous mène à la question qui tue : ce concert valait-il le prix exorbitant que Ticketmaster et Live Nation demandaient pour y assister ? La controversée pratique de la tarification dynamique faisant fluctuer en temps réel le prix d’un billet selon la demande a fait gonfler le prix de certains sièges à plus de 2000 $, comme nous le rapportions en octobre dernier. Nous ne savons pas combien a coûté la place de cette dame derrière nous, au bout d’une rangée, qui a dansé toute la soirée les yeux fermés, replongée dans ses souvenirs. Après I Feel You, elle a aussi séché une larme. De bonheur, lui souhaite-t-on, et non pas parce qu’elle en venait à comprendre qu’au prix qu’a coûté sa place, elle aurait pu assister à quatre ou cinq meilleurs spectacles que celui de Depeche Mode hier.

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