Alexandra Stréliski change d’air avec «Néo-romance»

En octobre 2018, Alexandra Stréliski lançait Inscape, un deuxième album, comme le signal d’un phare lui ayant permis de sortir de la noirceur d’une dépression vécue l’année précédente. Des millions et des millions d’écoutes en ligne plus tard, son successeur, Néo-romance, nous arrive aux oreilles après avoir été conçu dans des conditions bien différentes, celles de la félicité de l’amour. Stréliski passe de l’ombre à la lumière : l’entendrez-vous au fil de ces quatorze compositions qui, esthétiquement, se démarquent de celles du précédent album par l’injection de violons et d’une touche de piano électrique ?
« Ça dépend de chaque artiste, mais, personnellement, être prise dans le cercle vicieux de la noirceur et de la dépression m’empêchait de fonctionner, dit Stréliski. Je peux créer pour comprendre et traiter la souffrance, mais je peux aussi créer dans le confort, et ça a été beaucoup plus foisonnant d’avoir de l’espace, du temps et de me sentir en sécurité à la maison sans avoir à me poser la grande question existentielle de l’amour », puisqu’il était déjà tout trouvé.
Sa blonde enseigne l’économie des arts à Rotterdam, où furent composées la majorité des pièces de Néo-romance. « Je ne connaissais pas beaucoup les Pays-Bas, reconnaît Alexandra. En fait, la ville de Rotterdam me fait un peu penser à comment j’ai grandi. À Montréal, j’étudiais au lycée français, avec beaucoup d’élèves internationaux. C’est un peu comme ça à Rotterdam, nous sommes beaucoup d’expatriés. Il y a les amis italiens, les Belges, les Irlandais, on forme une petite gang. Ce qui est intéressant avec les expatriés, c’est qu’on recherche tous une maison, alors je m’amuse à faire des bouffes et à créer des liens comme ça. Mais ça, c’est quand j’ai le temps. Là, je n’en ai plus beaucoup. »
De nouvelles cordes
La semaine dernière, Alexandra Stréliski donnait un récital devant des gens de l’industrie de la musique à Paris et s’en allait faire de même à New York lorsqu’elle nous a passé un coup de fil depuis le hall de l’aéroport — rappelons qu’entre Inscape et Néo-romance, elle a rejoint la branche XXIM Records de Sony Music. Entre les deux vols, elle a pris le temps de visiter le plateau de Tout le monde en parle et discuté avec les représentants de la presse écrite québécoise. Ajoutez à tout le brouhaha entourant la sortie d’un nouveau cru pianistique ses fonctions au sein du studio Lamajeure, dont elle est officiellement devenue copropriétaire il y a deux ans.
Les affaires vont bien à Lamajeure, où elle a appris le métier de compositrice de musique à l’image, « mais c’est quand même une grosse transition de se lancer dans un tel partenariat ». Le studio, rappelle-t-elle, développe de la musique pour fictions, pour projets immersifs, « on se spécialise dans ce qui est un peu l’extension de la musique, dont le design sonore. Je travaille à bâtir des ponts auprès des contacts que je me fais un peu partout. Je mise sur le développement en tentant d’attirer des projets le fun. Oui, je suis un peu la mascotte du studio, mais pour vrai, c’est ma maison. Je la représente et je suis très attachée à l’équipe ».
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C’est au Lamajeure qu’elle a enregistré Néo-romance, récit de sa jeune histoire d’amour autant que de sa quête identitaire à travers ses racines, familiales et musicales, européennes, répète-t-elle sur toutes les tribunes. Les pièces ont été essentiellement composées durant la pandémie, mais plusieurs passages de l’album ont aussi été improvisés en studio, durant l’enregistrement.
« Oui, je crois que je suis une meilleure musicienne et compositrice aujourd’hui, j’évolue, dit-elle. Faire de la scène a changé mon approche de la musique, du spontané, de l’improvisation. D’autre part, composer des arrangements [pour violons, joués par le Karski Quartet, basé à Bruxelles] et les mettre sur l’album indique que cet album me ressemble, dans le sens que ce n’est pas une commande pour un film ou un projet. Je n’avais pas exploré l’idée d’ajouter des cordes à mes propres compositions, j’ai développé ça sur ce projet. »
Prendre le temps
Les violons, en vérité, ne transforment pas l’identité musicale d’Alexandra Stréliski. Les admirateurs d’Inscape seront en terrain familier sur Néo-romance : on reconnaît ce genre de thèmes mélodiques, simples mais marquants, qui sont la signature de la musicienne. À son meilleur, elle accentue les dynamiques entre passages coulants et moments de passion, comme sur The First Kiss (les violons y occupent beaucoup d’espace) ou One Last Dance, qui se démarquent ; à son plus banal, elle cite un peu trop, inconsciemment peut-être, ses influences — Chopin encore sur Air de famille, ou dans les couleurs harmoniques de Rêveries, qui rappellent si facilement l’Ave Maria de Schubert.
« J’ai eu moins peur d’assumer des pièces plus tristes que sur le précédent album, raconte la compositrice. J’ai l’impression de mieux prendre le temps avec des pièces qui respirent mieux, en faisant de longues pauses — parfois, je trouve que je précipite les choses. J’ai envie de prendre mon temps. » Néo-romance est simple, révérant ces compositeurs de l’époque romantique qu’elle affectionne tant, mais il fonctionne, même lorsqu’Alexandra Stréliski reprend à son compte les trucs de ses collègues de la scène « modern classical » en mettant l’accent sur le relief sonore de son instrument de prédilection — ici, un bon vieux piano droit et son piano à queue Bechstein tout neuf. « Je suis tombée en amour avec le son de cet instrument. »
« Je suis d’accord avec toi que le langage de l’imperfection des marteaux a été surutilisé [dans le monde du “modern classical”]. Pour l’album, je recherchais un hybride, proposer un son plus propre tout en conservant l’intimité du piano droit que j’aime bien. Personnellement, je suis déjà tannée de plusieurs aspects de ce qu’on appelle aussi la musique néoclassique. C’est un mot galvaudé, devenu un cliché de lui-même, notamment parce qu’il y a une abondance de propositions du genre. Cela dit, moi, je n’ai pas le choix : c’est ce que je fais, c’est ce que j’ai toujours fait, depuis que j’ai six ans, et ça ne changera pas. Je ne fais pas cette musique pour être dans l’air du temps ou suivre un courant. Je fais juste exprimer qui je suis, ce que je ressens, en espérant que ma musique touche les gens. Et si un jour je ne suis plus dans l’air du temps, tant pis. »