Maude Audet, le printemps en dedans comme au-dehors

« D’album en album [c’est le cinquième depuis Nous sommes le feu, paru en 2015], c’était plus arrangé, plus orchestré [...] Cette fois-ci, on a été au bout de notre désir de beauté », constate Maude Audet.
Valérian Mazataud « D’album en album [c’est le cinquième depuis Nous sommes le feu, paru en 2015], c’était plus arrangé, plus orchestré [...] Cette fois-ci, on a été au bout de notre désir de beauté », constate Maude Audet.
Discret, coincé entre deux façades plus ostentatoires du Vieux-Longueuil, le bistrot a tout du couloir : on ne voit pas le fond. C’est de là que surgit Maude Audet, contente et fière comme si elle avait franchi le Rubicon (référence à la décisive traversée de César) entre l’ombre et la lumière (référence au succès de Marie Carmen).

 

Peut-être exagère-t-on un brin, mais non sans raison : le flot des comparaisons découle du contraste plus que notable entre le contenant et le contenu du nouvel album, intitulé Il faut partir maintenant. Recto et verso, des photos : Maude Audet en noir et blanc. Drap blanc, vêtements noirs. Au verso, la main gauche de Maude lui cache le visage. Au recto, l’ombre de sa main ne laisse passer qu’un oeil. Noir. Pourtant, il suffit de sortir le disque de sa fente, l’insérer dans le lecteur, et tout se colore : dès les premières mesures de Penses-tu rester encore ?, on est baignés de la plus printanière sensation imaginable. Arrangements primesautiers, cordes, harpe, flûte traversière, vibraphones et castagnettes. Douce voix aux notes courtes qui confinent à la comptine. L’air du bonheur.

« C’est un hasard, au départ, ces photos, dit l’autrice-compositrice-interprète. Elles me montrent sans me montrer, c’est ce qui me plaisait au moment de les choisir. Mais là, je vois surtout que le soleil est tellement fort que je me cache le visage. Et on comprend que le moment suivant, c’est prendre la lumière, la recevoir. »L’éblouissement bienfaisant. La musique se déployant. Une sorte de printemps orchestral. Accepter la noirceur, trouver la lumière. C’est ce qu’elle chante dans Le plus fort : « Avancer dans le noir / Et ne pas se tromper / Les journées qui nous donnent / Nos plus belles idées / Dégringoler encore / Apprendre à se relever / Être un volcan de joie / Et l’envie de danser. »

La félicité orchestrale

On pense à Deux par deux rassemblés, cette chanson piano-voix emblématique de Pierre Lapointe, dont l’arrangement virevolte et virevolte, comme au temps du Désormais d’Aznavour. Un type d’orchestration à la française des années 1960. Richesse et fraîcheur, grandeur et légèreté. La chanson pop baroque à son meilleur. Ce qui habillait si élégamment la Françoise Hardy de Voilà, la Marie Laforêt de Tom, la France Gall de Nous ne sommes pas des anges : les arrangements et orchestrations des Jean-Claude Vannier, Jacques Denjean, François de Roubaix, Alain Goraguer et autres Paul Mauriat.

Voilà ce qui, pêle-mêle en bagage, sans ressembler à personne tout en ressemblant un peu à tous, fournit la matière et les couleurs des confections de Maude Audet et de son complice Mathieu Charbonneau tout au long de ce nouvel album. « C’est des années d’immersion, on ne s’est jamais demandé à qui ça ressemblait. C’est en nous. » Affaire d’acceptation, encore. « D’album en album [c’est le cinquième depuis Nous sommes le feu, paru en 2015], c’était plus arrangé, plus orchestré. » En filigrane, pourrait-on dire. « Cette fois-ci, on a été au bout de notre désir de beauté. » Comment décrire ce désir ? Parlons de bonne chaleur, de douceur de vivre, de musique… printanière. Quelque chose comme ça. Créer du printemps : un album bon à prendre en toute saison, bon pour tous les printemps à venir.

Du travail à la magie

Comment y sont-ils parvenus ? Défi majeur de nos jours : il n’y a plus ces orchestres et ces arrangeurs maison. Sacré travail en amont des séances d’enregistrement. « Mathieu, c’est un minutieux. Chaque ajout d’instrument était pensé, les timbales, les castagnettes, rien ne se faisait sans une bonne raison. Fallait aussi penser en termes de budget. C’était très placé avant le studio. Au moment d’aller faire les vraies pistes de base, Mathieu et moi, avec Marie-Pierre Arthur à la basse, Charles Blondeau à la batterie, Simon Trottier aux guitares, on était déjà très conscients des partitions pour l’orchestre. C’était très précis. Ça demandait de la concentration, et en même temps, fallait que ça reste vivant. J’appelle ça un état d’urgence bien préparé. Je n’avais pas le loisir de me tromper. Quand ça a été le temps d’enregistrer l’orchestre, c’était juste de la magie. »

Le fait est que l’écriture, la composition, tout est remarquablement structuré. Notamment, les voies par lesquelles on se rend aux refrains. Par paliers, par escaliers, par des modulations parfois déconcertantes un instant puis parfaitement adaptées l’instant d’après. « C’est ma perception de ce qu’est une chanson : il faut que ce soit tout naturel, mais pas banal. » Le motif est simple, les chemins pas trop balisés, les paysages soignés. Tout arrive au bon moment : l’impression d’entendre le tonnerre gronder dans la chanson-titre, la basseau pic qui lance Un soleil toujours en valse rapide, le souffle d’émerveillement dans le refrain en falsetto de Labyrinthe, les cordes du Quatuor Esca qui suivent et répondent à la mélodie dans Le plus fort, les roulements de batterie à la Procol Harum qui confèrent toute la majesté nécessaire à J’ai si peur, chantée en canon avec Mara Tremblay.

« J’ai si peur, c’est la chanson la plus dure de l’album. Ça parle de féminicide. La voix de Mara vient s’ajouter à la mienne pour constituer un choeur bienveillant. C’est dire : viens, on va prendre soin de toi. » Une chanson pour sortir de la noirceur. « Sur un banc de parc / L’espoir qu’il fasse beau. »

Il faut partir maintenant

Maude Audet, Bravo Musique

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