Une bouée de sauvetage pour la relève musicale

À l’heure de la reprise du spectacle musical, tous les artistes ne bénéficient pas des mêmes possibilités de renouer avec le public. Si les musiciens établis s’en tirent bien, les artistes en développement de carrière peinent à monter sur scène. Plusieurs diffuseurs et producteurs de spectacles interpellent aujourd’hui le Conseil des arts du Québec (CALQ) et la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour qu’ils viennent en aide à la relève en finançant des initiatives favorisant les premières parties et les programmes doubles faisant une place aux jeunes. La SODEC a confirmé au Devoir le dévoilement prochain d’un programme d’aide ciblant le problème.
Directeur des stratégies et des communications à l’agence de production et de promotion de spectacles Preste (Hubert Lenoir, Half Moon Run, Klô Pelgag, Salebarbes et plusieurs autres), Erwan Cassez s’inquiète de l’état du spectacle musical postpandémique. En comparant les chiffres d’affaires de l’agence, l’une des plus importantes au Québec, avec ceux des précédentes années, en disséquant chaque catégorie de concerts selon le lieu où il est présenté, il voit les difficultés de la relève lui sauter aux yeux.
« Ce dont je m’aperçois, en gros, c’est que les artistes qui marchaient très bien [à la billetterie] avant la pandémie marchent encore mieux après — ils cartonnent, littéralement, on n’a jamais vu autant de concerts présentés à guichets fermés, relève-t-il. Par contre, ceux qui marchaient moins bien ont encore plus de difficultés et, évidemment, on parle ici d’artistes émergents, en début de carrière. »
L’offre de concerts de musique populaire est aujourd’hui « exponentielle, alors qu’avant la pandémie, il y avait un cycle naturel dans l’industrie », explique-t-il. « C’est-à-dire que tous les artistes ne lançaient pas leurs albums en même temps, donc ne partaient pas tous en tournée en même temps ; or, la pandémie a fait s’accumuler les projets dans la salle d’attente. Depuis la reprise, tout le monde a lancé un album, est parti en tournée, le public a accès à beaucoup de spectacles. »
Pour les émergents, se trouver une scène est devenu difficile, « non pas par désaffection du public pour le travail de ces jeunes musiciens », soutient Cassez, mais parce que l’abondance de l’offre, conjuguée avec les effets de l’inflation sur le portefeuille, les défavorise. L’inflation a un autre effet pervers sur la relève : malgré la hausse des coûts de production, les diffuseurs sont frileux à faire grimper le prix des billets, de sorte qu’on économise en programmant moins de premières parties, ou en programmant des versions allégées (en formule solo ou duo) des projets musicaux invités à faire des premières parties.
« Nous, on voudrait justement pouvoir offrir toutes les conditions gagnantes pour la première partie », explique Mylène Fortier, directrice de la programmation au Zénith de Saint-Eustache, qui a cosigné avec plusieurs autres diffuseurs une proposition de programme de financement des premières parties adressée au CALQ. « Notre projet vise à ce que la proposition musicale offerte au spectateur soit à la juste valeur de la proposition initiale de l’artiste [invité en première partie], qu’il n’y ait pas de décalage dans la proposition, comme le forcer à se produire en solo ou en duo parce qu’on n’a pas le cachet pour payer l’orchestre complet » ou parce qu’il faudrait employer une équipe technique plus grande pour produire l’événement.
La situation est au coeur des préoccupations du milieu du spectacle, a pu mesurer le Devoir auprès de plusieurs acteurs de la scène. « Ce qu’on pense actuellement, c’est qu’il y a peu de place pour les artistes émergents, sinon dans les festivals », déplore Suzanne-Marie Landry, directrice générale et artistique du théâtre Granada, situé à Sherbrooke, et cosignataire de la demande.
« Chez nous, on présente régulièrement des premières parties, mais il y a peu de salles où ça se fait. On voudrait offrir aux artistes émergents une place en première partie d’artistes de renom, une tribune pour rayonner. D’autant plus que ce sont les jeunes artistes qui ont le plus goûté aux difficultés entraînées par la pandémie, et je pense que le CALQ partage cette préoccupation. »
La SODEC aussi : une représentante de la Société a confirmé que les détails d’un nouveau programme d’aide financière destinée aux producteurs et aux diffuseurs de spectacles et visant les premières parties (ou les programmes doubles) seraient « prochainement » dévoilés. La somme investie dans ce programme ne nous a pas été précisée, mais l’argent proviendra de l’enveloppe budgétaire allouée à l’Aide temporaire à la représentation de spectacles de musique et de variétés, une mesure mise en place pour aider les producteurs à traverser la pandémie et qui sera en vigueur jusqu’au 31 mars.
Le milieu a grand besoin de ce coup de pouce parce que le problème « est très important », souligne Erwan Cassez. « À court terme, on se dit que le milieu du spectacle va, il y a plusieurs artistes qui marchent bien, mais ils ne sont pas éternels. Si on n’entretient pas la génération d’artistes qui suit, il y aura un trou qui fera mal à toute la chaîne du spectacle. »
« En ce moment, on ressent tellement l’enthousiasme des spectateurs, alors profitons-en pour faire rayonner le talent des jeunes et les faire découvrir, ajoute Mylène Fortier. Une salle de 700 places comme le Zénith, c’est une super occasion pour les artistes en émergence de se faire connaître. »