Débuts encourageants pour Apple classique

Apple classique est disponible gratuitement pour les souscripteurs d’Apple Music, sur iPhone seulement.
Montage Le Devoir Apple classique est disponible gratuitement pour les souscripteurs d’Apple Music, sur iPhone seulement.

Apple a lancé son application classique mardi. Elle est disponible gratuitement pour les souscripteurs d’Apple Music, sur iPhone seulement. Offrant des contenus exclusifs tels que des concerts récents de l’Orchestre philharmonique de Vienne et des nouveautés en avant-première, elle se démarque par un outil de recherche souple et des propositions variées pour les néophytes.

« Apple qui crée ce service, Presto qui se lance dans le streaming, Universal qui s’intéresse à Hyperion, cela montre que la musique classique et son public sont d’un certain intérêt. Visiblement, il n’y a que Spotify qui n’a pas encore compris. » Didier Martin, président-directeur général de l’éditeur indépendant Outhere, résume bien le sentiment général du milieu de la musique classique face à l’arrivée d’Apple ; il définit aussi une stratégie visant autant à aller chercher un public cible qu’à offrir un nouveau service.

Le cocon

Avez-vous remarqué la publicité Rolex, si vous allez à l’opéra au cinéma ? Vous la retrouvez si vous achetez Opéra Magazine. La caractéristique première d’Apple classique est d’être, à la date du lancement, une application pour iPhone. Pas de disponibilité sur ordinateur ou Android. Pourquoi ? Pour tenter d’amener une clientèle supposément éduquée et plus aisée dans l’univers Apple, et lui vendre des téléphones-tablettes et des AirPods (AirPods+ qui se mettent dans l’oreille ou AirPods Max, le casque Bluetooth).

Ceci a une conséquence. Lors de la pré-annonce de l’arrivée du service, Apple insistait sur la qualité haute définition 24-96 et 24-192. Pour obtenir cela, dans l’iPhone de dernière génération, il ne faut pas oublier de régler dans « Musique » la qualité audio sur « sans perte, haute qualité ». Ce n’est pas le réglage par défaut. Mais quand bien même, comme nous le confirme Michel Forbes, du magazine Tendances électroniques design, animateur du Café audiophile, « le protocole de transmission Bluetooth plafonne à 48 kHz ». Peut-être pourrait-on envisager de brancher par la prise USB-C le téléphone à un convertisseur numérique analogique lié à un amplificateur ? Mais tel n’est pas l’usage d’un téléphone.

Ce hiatus semble être apparu aux yeux d’Apple, car les logos HD ou indications 24-96 et 24-192, omniprésentes chez Qobuz et Presto, n’apparaissent pas. Lors de la très sélecte conférence de presse de mardi, un logo « lossless high resolution » a fait son apparition. Pour l’heure, on sait qu’on écoute un document « sans perte en haute qualité » sans savoir de quoi il s’agit.

L’application est bien plus qu’un décalque de la section classique d’Apple Music, mais continue à faire grand place à un sigle qui semble fasciner le milieu « techno » : Dolby Atmos. Cette technologie amène un son certes spatialisé, mais le plus souvent aux timbres enrobés « crémeux », artificiels, comme en témoigne l’écoute de Shostakovitch par Kirill Petrenko ou du Zarathoustra de François-Xavier Roth. « Le procédé Atmos est spectaculaire et élaboré scientifiquement, mais requiert 30 haut-parleurs », nous explique Michel Forbes. « Grâce à un algorithme, on passe d’un “mix surround” à un “mix binaural” pour écouteurs. Avec 30 décisions à prendre ; les risques sont grands. » Le Dolby Atmos peut s’enlever dans les réglages du téléphone.

Exclusivités et recherche

Par rapport aux enjeux examinés mardi, le fer de lance d’Apple est un positionnement très efficace sur les exclusivités. Ainsi la 2e Symphonie de Mahler par Semyon Bychkov chez Pentatone, qui sort le 7 avril, est déjà disponible sur Apple classique. On y trouve des concerts récents du Philharmonique de Vienne avec Franz Welser-Möst, Daniel Barenboim, Tugan Sokhiev et Alain Altinoglu, du Philharmonique de New York, un excellent 1er Concerto de Beethoven avec Alice Sara Ott et Karina Canellakis.

Mais à l’écoute d’une 7e Symphonie de Mahler de Daniel Barenboim à Vienne, même sur les confortables AirPods Max, on se souvient de la constatation de bon sens de Marc Zisman, de Qobuz : « Malgré une progression de l’utilisation via le téléphone, l’ordinateur reste le premier outil de nos clients. » Où se trouve le décodeur numérique analogique d’un streaming audiophile ? Sur un ordinateur branché à une chaîne… À moins que vous ne soyez en attente de votre Mercedes EQE avec option Dolby Atmos, une option d’écoute dont nous vous épargnerons le prix.

La plateforme d’écoute Idagio est dans les faits la première « victime » d’Apple classique. L’outil de recherche d’Apple est très souple, insensible aux particularités de langues et petites erreurs. Quand on cherche « Beethoven Symphonie 7 Karajan », on trouve ses multiples versions, alors que chez Idagio, il faut savoir louvoyer, ne chercher que la symphonie, puis sélectionner Karajan parmi les chefs.

Apple a aussi plus ou moins remédié aux défauts de Primephonic. Lorsqu’on cherche le Messie de Händel ou un opéra, les informations sortent certes en ordre variable (parfois les solistes, parfois l’orchestre, parfois le chef en tête), mais le chef n’est plus relégué à la fin, et on a une perception pragmatique des versions proposées. La taille des pochettes est cependant plus agréable chez Presto.

Le cœur de cible

Qobuz et Presto ont un flair plus juste du « cœur de cible » qui va s’intéresser en premier lieu au suivi de l’actualité des parutions. Apple, visant un public plus large, se veut rassurant par des listes d’indispensables. « Dans les plateformes généralistes, les listes de lecture représentent plus de 90 % des écoutes, alors que chez Idagio, plus de 30 % des écoutes résultent d’une recherche de l’auditeur », nous disait Till Janczukowicz, fondateur de la plateforme d’écoute.

Apple a une logique de listes très ancrée. Ses listes de lecture sont balisées mur à mur par genres, par interprètes, par instruments, jusqu’à la flûte à bec. Les sections « chefs d’orchestre » et « solistes » reposent sur les légendes et non sur les vedettes de l’heure, qui tirent leur épingle du jeu partout ailleurs. Bibliothèques personnelles et autres listes d’écoute d’Apple classique s’importent dans Apple Music.

Le bilan est clair : Apple a fait du bon travail, mais Qobuz (au Québec en mai) et Presto peuvent sabler le champagne, car ils ont tous les atouts pour garder le « cœur de cible » de la clientèle classique pour trois raisons. D’abord, une intégration possible aux chaînes haute-fidélité. Ensuite, une clarté quant au format audio proposé. Enfin, l’accès chez Presto à 70 000 livrets numériques de disques et de plusieurs centaines de milliers chez Qobuz.

Quant à Apple, la proposition reste évolutive avec des questions en suspens : la vraie ouverture d’Apple classique à l’ordinateur et à Android se fera « plus tard », pour le premier et « bientôt » pour le second, sans plus de précisions. La plateforme spécifique n’induit pas un changement du type de rémunération pour les artistes, selon la réponse qui nous a été donnée, et une clarification sur la définition sonore semble loin d’être à l’ordre du jour.

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