Mezzo au coeur des semaines fastes de la musique classique

La chaîne musicale du câble Mezzo fête ses 25 années d’existence en grande pompe depuis mardi et jusqu’au 1er mai, avec un feu roulant de concerts prestigieux entouré de 25 archives qui ont marqué l’histoire du parcours de ce chef de file d’un marché en permanente évolution.
Dans l’univers de la retransmission de la musique filmée, Mezzo célèbre ses 25 ans au moment où, dans un monde dénué d’images, Apple s’apprête, le 28 mars, à lancer son service d’écoute à la demande consacré au classique.
Quant à l’univers du concert filmé, il a, depuis l’automne 2022, un nouvel acteur, la plateforme Symphony.live, qui, pour l’instant, juxtapose de manière très impressionnante des collaborations avec des orchestres prestigieux (dont l’OSM) et une volonté apparemment forcenée de ne pas communiquer à cet effet.
Plus il y a d’initiatives de qualité, ce qui est le cas de Symphony, plus c’est bon.
Un brassage classique
C’est Hervé Boissière, président-directeur général de Mezzo, qui rapproche Apple et Symphony, lorsque nous lui demandons si l’émergence d’un concurrent qui traite avec l’OSM et les orchestres du Concertgebouw, de Cleveland, le Symphonique de Londres, les philharmoniques tchèque et de Stockholm et l’Orchestre du Festival de Budapest lui inspire quelque crainte.
« Plus il y a d’initiatives de qualité, ce qui est le cas de Symphony, plus c’est bon. Cela crée un usage différent de celui que nous sommes capables de considérer, donc ça élargit le marché, et plus le marché sera grand, plus ce sera bon pour les acteurs de référence que nous sommes. C’est le cas avec Apple et c’est le cas avec Symphony, deux acteurs très différents ; Apple, qui a des millions d’abonnés avec Apple Music et Symphony, une start-up indépendante. Dans les faits, ils s’intéressent au classique, et ça, c’est une occasion pour l’ensemble de la filière. Souhaitons-leur le meilleur », conclut celui qui pense que l’arrivée de nouveaux acteurs « oblige à être encore plus exigeant et actif ».
Donc, même si Apple n’envisage pas de se lancer dans la vidéo, Hervé Boissière voit les semaines à venir comme un formidable tremplin pour la cause de la musique classique : « La communication qu’ils font sur le sujet est importante. J’ai rarement vu autant d’articles sur la musique classique depuis quelques semaines, depuis qu’Apple est sorti, parce qu’ils ont cette force de frappe et cette influence médiatique. Du coup, on parle beaucoup de classique, et c’est très bien. Il y a un bon lien entre ce qu’ils font et ce que nous proposons. »
L’après-COVID
Nous avions mené une entrevue avec Hervé Boissière, que nous avions alors surnommé le « Superman de l’image »,en mai 2020, alors que la vidéo musicale était devenue un refuge en temps de pandémie. Le directeur du portail Medici.tv avait été appelé alors à diriger également et conjointement Mezzo. À ce moment-là, pourtant, on ne parlait guère de plans d’affaires, car tout était devenu gratuit.
« L’impact de la gratuité pendant la COVID, c’est de nous avoir obligés à repenser la présence du Festival de Salzbourg, du Philharmonique de Berlin et du Philharmonique de Vienne sur Mezzo », analyse Hervé Boissière avec le recul. Entre le Mezzo de 2023 et celui de 2019, Hervé Boissière voit ainsi une différence très claire : « Nous avons misé encore plus sur l’excellence et la qualité : les très grandes institutions, les grands orchestres, les grands opéras ; ceux qui sont moins gratuits que les autres par définition. Cela nous a motivés à proposer des choses encore plus exceptionnelles avec Berlin, Vienne ou l’Opéra de Paris. Au fond, c’est très bien parce que cela nous a obligés à chercher encore plus de présence de très grands artistes et, sur le long terme, ce sera un pari gagnant, car c’est toujours la qualité qui l’emporte. »
L’autre fléau que l’on n’avait pas vu venir fut la guerre en Ukraine. Hervé Boissière était de ceux qui, notamment avec Medici, dont l’audience avait décollé au moment du concoursTchaïkovski, avaient tissé des liens étroits avec la Russie. « Nous sommes sortis d’une période d’annulations d’une infinie tristesse pour tomber dans l’invasion de l’Ukraine qui a marqué un changement très important de notre activité, puisque nous avons annulé toutes les captations en Russie — et Dieu sait qu’elles étaient nombreuses. »
Hervé Boissière estime que ce volet russe représentait 15 % de son activité. Il évoque des complications non seulement artistiques (le chef Valery Gergiev était un pilier de la chaîne), mais aussi humaines avec les équipes techniques dont il était très proche. « Nous travaillions là-bas avec eux depuis toujours. C’est d’une infinie tristesse. C’est arrivé du jour au lendemain et ça va durer malheureusement des années. Personne ne sait comment ça va tourner et nous espérons que ce sera le plus court possible pour le peuple ukrainien. Mais même si les bombes s’arrêtent de tomber, cela va prendre plusieurs années pour que les relations avec la Russie et ses institutions reprennent. »
Stabilité
La période pandémique n’a en tout cas pas eu d’incidences commerciales sur la chaîne. « La pandémie n’a pas entraîné de perte d’abonnés, mais nous n’avons pas eu de gains, alors que sur des plateformes Internet commeMedici, nous avons connu un afflux d’un nouveau public. Ça, nous l’avons moins eu sur Mezzo, même si nous avons eu des audiences plus conséquentes pendant le confinement. Ce qui est formidable avec Mezzo, et que l’on observe avec d’autres chaînes thématiques qui sont la référence dans leur domaine respectif, c’est à la fois une grande stabilité et une grande résilience. Le public est très fidèle, il aime la proposition, il est rassuré par des rendez-vous fixes (concerts, ballets, opéras, jazz) et a confiance envers une garantie de qualité. »
Mezzo est présent aujourd’hui dans 97 pays et compte 65 millions d’abonnés, selon les chiffres avancés par son directeur, qui voit dans le développement territorial une perspective d’expansion. « Il y a encore des territoires à conquérir. En Amérique latine, nous sommes au Brésil, mais il y a l’Argentine, le Mexique, la Colombie. En Asie, il faut renforcer la position au Japon, et surtout en Corée. »
À cela s’ajoutent les modes de consommation : « Il y a une approche globale entre les chaînes linéaires, la vidéo à la demande et les chaînes FAST [pour « free ad-supported television », des services de télévision en direct, financés par la publicité]. Comment, à partir de ce que nous avons, pouvons-nous aller plus loin ? Il y a deux croissances : les pays où nous ne sommes pas et l’élargissement de la proposition dans les pays dans lesquels nous sommes. Prenons les États-Unis : à travers des premières initiatives de FAST, on voit qu’il y a du potentiel. Mais c’est un autre secteur, un autre créneau, il faut travailler différemment, repenser plein de choses sur la manière de monter les produits. Donc, on voit qu’il y a plein d’opportunités, mais il faut sortir du terrain de jeu habituel. Ce qui a fait le succès de Mezzo pendant ces 25 ans, il faut le consolider, tout en développant de nouvelles expériences en parallèle. »
Pour les six semaines à venir, c’est un florilège d’événements avec un véritable « festival des 25 ans » et le nectar des archives qui sera proposé. On guettera les rediffusions du concert de lancement des festivités, donné mardi dernier. « Nous avons laissé la scène à de jeunes talents de moins de 25 ans, qui n’étaient donc pas nés quand Mezzo a été créé et qui pourraient devenir les vedettes des 25 prochaines années », résume Hervé Boissière. Se côtoieront Tsotne Zedginidze, pianiste et compositeur géorgien de 13 ans, adoubé par Daniel Barenboim ; Roni Kaspi, batteuse israélienne de 22 ans ; Tsukino Tanaka, danseuse japonaise de 18 ans et Anthony León, ténor américano-cubain de 25 ans vainqueur du dernier concours Opéralia.
Samedi soir, Nikolaus Harnoncourt dirigera Fidelio dans la mise en scène de Jürgen Flimm en 2004 et dimanche on pourra voir Mitsuko Uchida et Bernard Haitink partageant la scène à Amsterdam en 2018. L’OSM est partie prenante des festivités avec un direct de Montréal le 19 avril : le concert de Bruce Liu et Dalia Stasevska avec le 2e Concerto de Chopin et la 6e Symphonie de Sibelius. Une très riche programmation opératique comprend la diffusion de Nixon in China de John Adams depuis l’Opéra de Paris le 14 avril et la rediffusion d’Einstein on the Beach de Philip Glass (2014) le 27 avril. Le tout s’achèvera le 1er mai avec un concert du Philharmonique de Berlin à la Sagrada Familia.
En concert cette semaine
Yannick Nézet-Séguin met un terme à l’intégrale des cantates de Bach de la salle Bourgie, dimanche à 14 h 30 et 19 h 30.
L’ensemble de chambre du Concertgebouw d’Amsterdam se produit à la salle Bourgie, mardi à 19 h 30.
Rafael Payare dirige Ein Heldenleben de Strauss à la Maison symphonique, mardi et jeudi à 19 h 30.