Keith Kouna, la mort, pis toute sur «Métastases»
«Ouais ben, l’amour, la mort, pis toute. » Cette ligne de Dédé Fortin, tirée de la chanson Le répondeur, remonte aux lèvres de Keith Kouna alors que l’on tente de cerner le thème s’imposant dans Métastases, son expansif, nourrissant, exceptionnel cinquième album solo : « Le bon vieux romantisme, hein ? suggère Kouna. La mort, l’amour, ce sont des thèmes inépuisables qui ont été chantés des milliers de fois, mais il reste tout le temps du gaz, de la chair autour de l’os, de la viande… des métastases à gratter. »
Métastases ? « C’est le meilleur titre que j’ai trouvé, désamorce Keith Kouna. C’est un beau mot, je trouve en tout cas. Ça sonne bien. C’est glauque, aussi. Et ça appelle au nombre : elles pullulent, il y en a des petites, des plus grosses », comme les chansons de l’album — elles sont au nombre de vingt, très variées, des trente secondes de la ritournelle G3A 1W8 aux cinq langoureuses minutes d’Américaines : « Je décale, je déraille / En regardant ma vie / Toutes ces années / Sous terre / Toutes ces années ».
La mort, donc. « Ouin. La maudite mort », échappe Kouna en détournant le regard. « Fait longtemps que j’y pense pareil. Mais on dirait que oui, elle est de plus en plus présente. C’est un peu normal qu’elle soit plus présente, à 48 ans. J’ai un kid aussi, tout jeune — je ne sais pas, on dirait que c’est plus concret. Celle des autres, en tout cas — ces trois dernières semaines, j’ai eu deux funérailles, pour le père d’un ami et un de mes oncles. On avance, c’est sûr que les gens tombent devant nous. »

Pas funeste, mais grinçant
Métastases n’est cependant pas un album funeste, bien au contraire. « Je suis ben content du résultat, dit Keith Kouna. Je ne savais pas comment ça allait sortir : est-ce que ça allait être deux disques ? Il y aura deux vinyles, mais je n’ai jamais pensé à cet album comme un album double, et ce n’est pas un album concept, alors que Le voyage d’hiver [2013] aurait pu en être un. Sur Métastases, il y a des trucs rock cabotins, d’autres très sombres ; on a tout mélangé ça, et ça marche. »
On dirait même qu’il a été enregistré dans quatre studios différents, avec quatre orchestres différents, chacune de ces séances ayant des couleurs propres. Il y a ce son rock tortueux, celui de la magnifique Aéroplane en ouverture, de Bouquet, de l’épique Épave en fin d’album, qui rappellent instantanément l’atmosphère du mythique MTV Unplugged in New York de Nirvana, paru en 1994. Les brûlots, bruyants et punks (dont DBM), attendus, espérés même, de la part du leader d’une des plus importantes formations de l’histoire du punk québécois, les Goules. Il y a ces chansons révérencieuses de la tradition, plus française comme sur Accordéon, Américaines et Requins, plus américaine par sa guitare folk dans Marilyn et Aux quatre vents.
Puis les remarquables élans de cynisme qui apparaissent dans Métastases comme un coup de semonce : « Les vieux qui courent, c’est drôle / Ça ne veut pas mourir / Ça veut durer toujours / Ça ne veut pas mourir ». Ça, c’est le texte, au complet, de Les vieux qui courent, enregistrée comme si Charles Trenet l’avait chantée, souriant, pimpant, guilleret, encore bien vivant : « Il y a quelque chose de triste à voir dans ce désespoir, dans ce désir de s’accrocher, de ne pas vouloir mourir, d’être éternel », perçoit Kouna.

Métastases est tout sauf un album funeste : « Cette chanson allège tout le reste, reconnaît Kouna, mais c’est très grinçant quand même. » Elle fut composée en un instant, cette ligne, cette mélodie joviale chantonnée dans son téléphone alors qu’il « fumait une clope sur le balcon ».
Devant la page blanche, « je n’ai pas d’intention de départ, explique-t-il. Ce sont souvent les tounes qui décident elle-même du sujet. Je ne sais jamais ce que je vais chanter. Pour chaque chanson, je commence par la musique, toujours. J’improvise, j’enregistre, je réécoute : “Ah ! Ça, c’est pas pire.” Je cherche la toune, et les meilleurs mots à mettre dessus. Le sujet vient en creusant », la composition trouve son sens au fur et à mesure que Kouna sculpte son inspiration brute.
Se mêle et se promène
Six ans — et une pandémie — se sont écoulés depuis son dernier album solo, Bonsoir shérif. Sont entre-temps apparus une chanson intitulée Tabarnouche, lancée à l’automne 2020, un microalbum regroupant trois autres compositions destinées à La duchesse de Langeais, pièce de Michel Tremblay présentée au Trident à la fin 2019. Les six premiers mois de la pandémie furent, avise Keith Kouna, « assez stériles. Je n’ai pas fait grand-chose ».Après six statiques mois, « j’ai recommencé à plancher. T’en écris une. Pis une deuxième. Et trois, et quatre, et tout d’un coup, quelque chose se dessine ».
Métastases forme le portrait le plus complet de l’étendue du registre de l’auteur-compositeur-interprète, qui évoque autant Melvins que Trenet, Nirvana que Brel — la force de Kouna l’interprète transcende Au revoir et Le narratif, deux sommets de cet album qui en recèle d’autres —, Pantera que Renée Martel, à qui est dédiée la dernière chanson de l’album, une tendre ballade country nommée Aux quatre vents. Kouna, fan de la « Cowgirl dorée » ? « Je suis fan de chansons, précise-t-il. J’ai écouté Renée comme Marcel Martel. C’est un exercice de style. »
La plus ancienne composition de l’album, oubliée dans un tiroir depuis 2011. Il l’avait écrite pour Renée, lui avait proposé, elle ne l’avait pas choisie pour son album Une femme libre (2012). « Après, me semble que j’avais essayé de la refiler à Guylaine Tanguay, rigole-t-il. Je l’ai montrée à Alex [Martel, réalisateur, collaborateur de Lou-Adriane Cassidy, Thierry Larose, entre autres], c’est lui qui a insisté : “Faut la mettre, faut la mettre !” »
Elle conclut l’album sur une bienvenue note d’espoir. En guise de réponse à une question, Keith Kouna récite un bout du texte d’Américaines :« Et le monde, et la terre / Et ses feux d’artifice / Ses bulletins de seize heures / Et ses branlettes tristes / Endurcir mes artères ou endurer l’ennui // Il est où le bonheur ? »

« Si j’ai toujours été pessimiste ? Je pense que oui. Révolté et colérique aussi, parfois, plus sur Bonsoir shérif, où j’étais plus dans la dénonciation et le regard social. Avec Métastases, je retourne à mes zones d’ombre. “La mort, pis toute”, disait Dédé. Je suis un pessimiste, oui, mais en même temps, je suis un bon vivant. Je sais pas… J’aime la vie, j’aime pas le monde, je ne m’aime pas, je m’aime, j’aime le monde. Tout ça se mêle et se promène. »