«L’eau et les rêves»: la grâce d’une éclaircie

Son rapport au temps est élastique, « spaghetti » même, dit-elle. L’autrice-compositrice-interprète Naomie de Lorimier, que l’on connaît pour son projet solo N NAO et ses collaborations avec Klô Pelgag et Laurence-Annenotamment, aime penser que le temps est un terrain de jeu. « J’ai toujours suivi cette impulsion spontanée et intuitive pour faire de la musique. Quand on fait de la musique, on s’amuse avec le temps », fait-elle remarquer. Elle croit, de ce fait, ne pas avoir eu recours à une perspective linéaire du temps pour son dernier album au titre tout aussi nébuleux, L’eau et les rêves. Celui-ci évoque également l’ouvrage du même nom de Gaston Bachelard, essai contemplatif sur l’imaginaire des rêves paru au XXe siècle. « C’est quelque chose que je déconstruis beaucoup, entre autres parce que je m’inspire de mes rêves pour créer », explique-t-elle.
À l’époque de l’écriture et de la composition de la très dreamy pop-folk L’eau et les rêves, Naomie de Lorimier se précipitait ainsi sur sa guitare dès qu’elle sortait d’un sommeil mouvementé afin de tirer profit de cet état presque subconscient, « toujours un peu en transe ». « Pour moi, quand on est dans un rêve, c’est très chaotique et ce n’est jamais très clair. Où sommes-nous ? Quand sommes-nous ? » souligne l’artiste. Le titre Saison des orages est, par exemple, un morceau très chargé, qu’elle avait d’abord du mal à chanter, car sa nostalgie la faisait voyager dans le passé.
Puis, comme par enchantement, la rencontre aux Studios Greenroom avec le coréalisateur de l’album Jean-Bruno Pinard et les musiciens Lysandre Ménard, Charles Marsolais-Ricard, Samuel Gougoux et Étienne Dupré arrive un jour. Sans elle et eux, L’eau et les rêves n’existerait pas, précise Naomie de Lorimier. « Pour Saison des orages, nous avons installé des micros à chacun, et tout le monde suivait mes accords avec son propre instrument en improvisant. Nous laissions respirer. Nous recommencions. La répétition est importante pour moi en musique pour atteindre cet état de méditation et de transe », confie l’artiste. Cet instant d’union et de douceur, avec les notes au piano de Lysandre Ménard, l’a par ailleurs aidée à apprécier le titre d’une toute nouvelle manière.
Puisque le temps est un assemblage de moments, Naomie de Lorimier a ensuite poursuivi le travail. De son côté. « Je me suis retrouvée au chalet, où j’ai fait des takes de voix que l’on peut aujourd’hui entendre sur l’album », se souvient-elle. L’intimiste et poétique chanson 11:11, avec la grande vibration de la voix grave et matinale de l’artiste et ses doigts sur la guitare sèche inspirés du répertoire de Vashti Bunyan, illustre son propos : « Ce sont des couches qui sont superposées, des idées qui se sont ajoutées les unes aux autres parce qu’on a eu le temps. »
Sorcière épanouie
Au-delà du temps, 11:11 offre à l’autrice-compositrice-interprète la possibilité de manipuler les superstitions. Et de révéler une facette fantastique, presque ensorcelante, de sa musique. « Ça peut avoir l’air new age, mais je m’en fous. Je m’intéresse à la magie dans tous ses aspects. Que tu y croies ou pas, peu importe, à 11 h 11, nous pensons tous à quelqu’un et peut-être que cette personne pense également à nous »,est-elle convaincue. Pour Naomie de Lorimier, ces notions de communication silencieuse et de connexion à distance existent pour rendre la vie plus agréable. « C’est essentiel de saupoudrer des touches de magie sur le réel », ajoute-t-elle.
Un peu comme la magie que lanature exerce au fil des saisons qui se succèdent, finalement. « Tout ça vient de mon côté écoféministe et de l’importance que j’accorde au soin de la nature », indique-t-elle. Celle qui a aussi été fleuriste au Marché Jean-Talon dans l’une de ses vies antérieures est fascinée par les phénomènes magiques, qui relèveraient presque de l’imaginaire sorcier, de la nature. « Le passage des saisons, la couleur des plantes et des fleurs m’inspirent énormément », poursuit-elle. La forêt commele bord de l’eau restent pour l’artiste des lieux d’influences, où se conjuguent coups d’éclat et grandes idées.
« Ce que j’aime dans la musique et que nous rejoignons dans la nature, c’est la transcendance. J’essaie toujours de l’atteindre dans mes chansons », note Naomie de Lorimier. Nous faire sentir comme dans un espace flottant hors temps, qui traverse toutes les époques, est un effet que la nature et la musique lui procurent. « Le temps est inhérent à la nature. C’est le déclin, c’est la vie, c’est la mort, c’est le soin. Ça doit se retrouver dans L’eau et les rêves, car c’est ce que je cherche quand je compose », conclut celle qui a à coeur de chanter dans cette perspective de porter une attention particulière aux autres, à elle-même, et de faire confiance au processus.