Le meilleur d’«Haïti mon amour» en concert

La pianiste Célimène Daudet propose un programme métissé qui associe des œuvres du répertoire classique européen avec celles de compositeurs haïtiens du début du XXe siècle.
Photo: Eric Dessons La pianiste Célimène Daudet propose un programme métissé qui associe des œuvres du répertoire classique européen avec celles de compositeurs haïtiens du début du XXe siècle.

Célimène Daudet avait créé une immense surprise et une émotion non moins grande en 2021 avec son disque Haïti mon amour révélant des œuvres de compositeurs haïtiens méconnus, dont le très remarquable « Chopin noir », Ludovic Lamothe. La salle Bourgie a invité, mercredi, la pianiste franco-haïtienne pour un récital lors duquel elle jouera ses pièces préférées de cet album.

« Après la sortie de mon disque, j’ai fortement perçu un véritable intérêt à la fois du public et des programmateurs pour ce répertoire. Je ne m’y attendais pas et j’étais favorablement surprise de sentir un mouvement pour cette musique en tant que telle, mais aussi pour ce qu’elle véhicule comme histoire et comme propos. »

Un concerto recréé à Paris

Plongée dans la redécouverte musicale de ses racines, des retrouvailles qui doivent beaucoup à la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne (SRDMH) basée à Montréal, Célimène Daudet s’était déjà confiée au Devoir en avril 2021.

Deux ans après, elle n’a rien abandonné de sa quête et l’a même élargie. « Je continue de m’ouvrir à d’autres compositeurs et à d’autres œuvres des compositeurs que j’ai déjà rencontrés. » Grâce à la SRDMH, elle intensifie notamment sa connaissance de Ludovic Lamothe. « Je me suis aussi intéressée à une œuvre que je joue dans trois semaines au théâtre des Champs-Élysées, à Paris : un concerto de la compositrice haïtienne Carmen Brouard (1909-2005), qui a vécu à Montréal à la fin de sa vie et dont la famille est basée à Montréal. »

Célimène Daudet décrit ce concerto comme une « œuvre originale qui intègre le patrimoine haïtien dans un langage non pas post-romantique, mais beaucoup plus contemporain ». Ce concerto intitulé Baron Lacroix fait référence à une divinité vaudoue. « C’est une expérience nouvelle, puisque je sors de la période post-romantique pour aborder quelque chose plus proche de nous. À ce titre, je pense aussi à David Bontemps, dont j’ai joué certaines œuvres. C’est intéressant que les compositeurs et les interprètes continuent de collaborer. J’ai envie de m’intéresser aux compositeurs plus proches de nous. »

Perspective

Une autre leçon que Célimène Daudet titre de l’expérience Haïti mon amour est la question de la perspective. « En tant qu’artiste, je me sens presque en mission, en relation avec mes origines, de travailler à la redécouverte de ces œuvres par un public plus large. Les gens sont prêts à ouvrir leurs oreilles au fait que la musique classique n’est pas exclusivement réservée à l’Europe. Cela ouvre des portes sur des sujets importants, notamment la question de la colonisation et de la décolonisation. Quelles rencontres culturelles ont été générées et qu’est-ce qu’il en est ressorti au niveau artistique, et notamment musical ? Ces choses ont été longtemps ignorées, parce que l’on ne présente l’histoire, notamment quand on est du côté des anciens colons, que d’un point de vue. C’est donc fascinant de passer par la musique pour décentrer un peu le propos. »

À Montréal, Célimène Daudet présentera des partitions des trois compositeurs importants de son disque, Justin Élie, Edmond Saintonge et Ludovic Lamothe. Pour ce dernier, elle a voulu dépeindre trois aspects de sa musique : « Le vaudou, dans une pièce qui s’appelle Loco, imitant le tambour présent dans les cérémonies vaudoues ; la filiation romantique, qui explique son surnom de “Chopin noir” ; la danse fondée sur des rythmes afro-cubains ».

En seconde partie, la pianiste a résisté à jouer du Chopin : « Je ne trouvepas forcément très heureux d’inciter à la comparaison entre le fameux “Chopin noir” et Chopin lui-même. En revanche, il y a une sorte de transition dans le récital avec deux œuvres de Scriabine, une Étude influencée par Chopin, et Vers la flamme, composition de la fin de sa vie. »

Célimène Daudet voit dans le langage du Scriabine tardif « une forme de transe qui n’a rien à voir avec le vaudou, mais procède de la recherche de l’extase ultime ». Scriabine ouvre aussi à une recherche de timbres que l’on peut retrouver chez Debussy. « C’est pour cela qu’en deuxième partie, je propose tout le 2e Livre des Préludes de Debussy, comme un voyage sonore, et comme je suis franco-haïtienne, j’avais envie d’avoir une partie haïtienne et une partie consacrée à un compositeur français. »

Célimène Daudet, piano – Haïti mon amour

Oeuvres de Justin Élie, Edmond Saintonge, Ludovic Lamothe, Scriabine et Debussy. Salle Bourgie, mercredi 22 mars, 19 h 30.

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