«Like Flowers on a Molten Lawn» de Matt Holubowski: Dans tous les sens

Si sa génération se fait sans cesse bombarder de messages annonçant une fin du monde plus ou moins imminente, Matt Holubowski est convaincu que le fait de se recentrer vers les vies individuelles, les amis et la famille aide à gérer cette angoisse.
Valérian Mazataud Le Devoir Si sa génération se fait sans cesse bombarder de messages annonçant une fin du monde plus ou moins imminente, Matt Holubowski est convaincu que le fait de se recentrer vers les vies individuelles, les amis et la famille aide à gérer cette angoisse.

« Like Flowers on a Molten Lawn est un peu comme une histoire qui s’en va dans tous les sens », dit d’emblée Matt Holubowski. Pour l’auteur-compositeur-interprète, le récit de ce quatrième album a commencé par un poème qui évoque le printemps, celui de l’Américain E. E. Cummings paru dans les années 1920 Spring Is Like a Perhaps Hand. « Je suis parti de cette idée de croissance lente et précise qui change de direction par ici et par là, de quelque chose de vraiment délicat », raconte-t-il.

À l’époque de l’amorce de son album, Matt Holubowski avait en effet l’impression de porter sur ses épaules le tourbillon de la vie. « Je sentais le besoin de prendre plus de temps pour faire les choses. J’étais dans un moment d’exploration des sonorités et du studio. Ce poème m’a permis de voir chaque chanson comme une petite croissance », explique le musicien. Il décide alors d’appliquer la philosophie de Spring Is Like a Perhaps Hand à ses nouvelles créations, avec toujours cette idée en tête de la mort de la nature, puis de sa renaissance le printemps venu. « C’est quelque chose qui me touchait beaucoup à cet instant-là de ma vie et qui a forcément teinté Like Flowers on a Molten Lawn », indique-t-il.

Une fleur

Il y a aussi ce songe fait par Matt Holubowski en 2017 après un voyage au Guatemala. « Un jour, je me suis retrouvé au-dessus d’un volcan et j’avais une vue incroyable sur celui d’en face », relate le Québécois, marqué à jamais par cette image grandiose. Et de poursuivre : « Dans mes rêves, ensuite, je voyais cette montagne, mais, devant moi, il y avait un champ de lave sur lequel poussait une fleur solitaire. C’était magnifique. »

Au fil du temps, cette vision onirique est ainsi réapparue à son imaginaire dans plusieurs contextes différents. « Je suis dans une banlieue où il y a plein de maisons identiques, avec des trottoirs en ciment et des pelouses, mais chez moi, la pelouse, c’est de la lave », confie-t-il à propos de ce rêve, cette pensée récurrente. « J’ai essayé de trouver de la signification là-dedans, et cette image a nourri la création de Like Flowers on a Molten Lawn », assure-t-il.

L’artiste ajoute que l’idée de cette fleur esseulée est venue à lui alors qu’il éprouvait un certain fatalisme, « cette mélancolie avec un brin d’espoir tout de même ». « J’étais habité par cette espèce de supposition que tout ne veut rien dire, souligne-t-il. Ce n’était pas pour autant négatif, au contraire. Ça traduit plutôt comment je suis et comment ça se ressent dans ma musique. » Si sa génération se fait sans cesse bombarder de messages annonçant une fin du monde plus ou moins imminente, Matt Holubowski est convaincu que le fait de se recentrer vers les vies individuelles, les amis et la famille aide à gérer cette angoisse. « Cette fleur qui pousse dans un contexte de survie impossible en théorie m’apporte beaucoup de réconfort. Je me dis qu’au fond, même si nous devons faire face à toutes ces problématiques, nous sommes en fait assez forts pour les surmonter. »

Reconnaissance

Puisqu’il envisage son plus récent album comme une entité qui s’éparpille, Matt Holubowski concède que ses influences ne s’arrêtent pas là. La genèse de Like Flowers on a Molten Lawn a en réalité commencé par le morceau d’ouverture End Scene, un peu comme un conte où l’apocalypse arrive d’abord. « J’ai eu cette idée en écoutant l’audiolivre de Memoirs and Misinformation, de Jim Carrey et Dana Vachon. Il y raconte qu’au moment où la photo en couverture a été prise, une fausse alerte à la bombe nucléaire a eu lieu à Hawaï et la population était sommée de se préparer à la fin du monde », relève l’auteur-compositeur-interprète.

Celui-ci reste aujourd’hui encore fasciné par ce passage paradoxal qui oscille entre la terreur et la gratitude. « Jim Carrey était là, assis sur une plage avec le calme devant lui, en sachant que la fin s’en venait. Le disque est un peu parti de ça aussi », souligne-t-il. D’aucuns donc seront surpris quand il ajoute avoir également été inspiré par la série d’animation Rick et Morty. « Le scientifique passe d’un univers parallèle à un autre en espérant trouver le bonheur. » Dans cet esprit d’univers parallèles et farfelus, justement, est née la chanson Gardens v. Mowers. « Au début, je voulais faire un album satirique de notre époque, où nous sommes outrés de tout… J’ai quand même conservé le ton improbable de ce titre où les jardins sont en guerre avec les tondeuses », explique-t-il, amusé.

La chanson Flirt With Boredom est enfin celle par laquelle Matt Holubowski boucle la boucle de Like Flowers on a Molten Lawn, celle qui rejoint l’essence du poème d’E. E. Cummings. « Nous avons essayé d’enregistrer Flirt With Boredom pour mon deuxièmealbum, Solitudes, puis dans le cadre de Weird Ones par deux fois. Mais ça ne marchait pas… » admet-il. Un jour qu’il était en studio avec son réalisateur et musicien Pietro Amato, la renaissance du morceau a soudainement pris forme. « Nous nous sommes retrouvés dans un autre studio, avec Pietro, et nous étions un peu désespérés… C’est là qu’il s’est mis à la batterie et moi au piano et que Flirt With Boredom, qui me suit depuis 2016, est sortie telle que nous la connaissons maintenant. Ça a littéralement pris trois albums », reconnaît-il. Selon lui, elle reflète parfaitement la perspective de Spring Is Like a Perhaps Hand. « C’est ça, d’assumer qui nous sommes, la manière dont nous voulons être, et de prendre le temps pour le faire. »

S’il a toujours aimé la nature, Matt Holubowski avoue, dans les dernières années, avoir l’esquivée de la musique qu’il compose naturellement pour éviter de tomber dans les préjugés a priori ringards de musiciens qui puisent leur inspiration « dans les fleurs ». « Avec Like Flowers on a Molten Lawn, j’assume pleinement cet aspect de moi qui aime la forêt et les fleurs. Je m’en fiche un peu de savoir ce qui est bien ou pas, si je fais partie de la norme ou si je sors du lot », signifie-t-il. Pour lui, « tout ça a perdu de son importance », et la fleur est devenue le symbole par excellence d’un sentiment libérateur.

« Grâce à Like Flowers on a Molten Lawn, j’ai pu réapprendre à faire ce que j’aime le plus, et tant pis pour ce que les gens en pensent et ce qu’ils en font », conclut Matt Holubowski, qui se plaît manifestement à partir dans tous les sens.

Like Flowers on a Molten Lawn

Matt Holubowski, Audiogram. En vente dès le 24 mars. En tournée dès le 28 mars.

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