Les chansons de papier de Thierry Larose

Thierry Larose revient avec son deuxième album, Sprint !.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Thierry Larose revient avec son deuxième album, Sprint !.

Thierry Larose a dû se prouver à l’édition 2019 des Francouvertes, lancer un album — Cantalou, il y a deux ans pile — et faire une tournée pour enfin accepter qu’il soit aussi un chanteur. Avant ça, avoue-t-il, « je n’aimais juste pas chanter. Pour moi, c’était utilitaire : j’ai un texte, j’ai une mélodie, je dois faire ce qu’il faut » pour les mettre au monde. « C’est grâce à la musique que j’écoutais, et à force de donner des concerts, que j’ai compris que la voix est l’instrument le plus expressif qui soit. J’avais envie de mettre en pratique mes nouveaux acquis », ce qu’il fait sur Sprint !, son deuxième album, qui paraîtra le 10 mars.

« Aujourd’hui, je prends plus plaisir à jouer le rôle d’interprète. Je me sens plus confiant, aussi. Mais ce que j’aime avant tout, c’est le travail de composition », dit Thierry Larose, accoudé à la table, jus d’orange à la main. Sprint ! s’ouvre sur Portrait d’une Marianne, qui nous renvoie tout de suite à l’album Desire (1976), de Bob Dylan, que le musicien a placé bien en vue au-dessus du tourne-disque, sur un mur de la salle à manger, à côté de quelques autres ayant également nourri son inspiration : l’album blanc des Beatles (1968) ; un vieux Burt Bacharach ; Intersections (1979), de Sylvain Lelièvre, « l’album avec La banlieue, ma préférée de Lelièvre », confie le musicien de 25 ans.

Desire, ce classique de Dylan, est expansif. Ses textes, chargés, abondants. Ceux de l’immortelle Hurricane, occupant les huit premières minutes de la face A, et les onze de Joey, au début de l’autre. Larose évoque aussi Sad-Eyed Lady of the Lowlands, dont les onze minutes occupent toutes seules la quatrième face de Blonde on Blonde (1966). Portrait d’une Marianne en dure sept ; elle n’est pas forcément représentative du reste (la suivante, Coeur de lion, est un petit brûlot de chanson rock de moins de deux minutes), sinon dans le raffiné propos.

On ressent, à l’écoute de Sprint !, le besoin d’aller au fond des choses. De soulager les chansons du superficiel. La chanson qui se suffit à elle-même, ou presque, a compris Thierry. Il faut bien les chanter pour que le public les entende. « J’ai eu ce débat un jour avec Lou[-Adrianne Cassidy] : j’avais créé de toutes pièces une fausse dichotomie entre la chanson et son interprétation — elle est fausse, il n’y en a pas », raconte-t-il en soulignant l’influence qu’ont eue ses collaborateurs sur le son, plus sobre et brut, de Sprint !.

L’incandescente Cassidy chante les choeurs sur l’album, un geste qu’on a envie de voir comme un généreux retour d’ascenseur, Larose ayant passé l’année dernière à jouer la guitare au sein de son fameux orchestre. Son copain, Alex Martel, était aussi de la joyeuse bande : il coréalise Sprint !, comme il l’avait fait pour Cantalou.

« Un band »

« C’est que j’ai un band, maintenant ! » s’exclame Larose. Avant, comprenons-nous, les chansons étaient reines, et les enregistrer et les mettre sur disque, des gestes nécessaires pour qu’elles atteignent un public. Pour Cantalou, Martel coréalisait, Larose faisait un peu tout le reste, dont chanter d’une voix un brin timorée, parce qu’il le fallait bien… « C’est un truc que je voulais faire [sur Sprint !] : mieux mettre ma voix de l’avant, et donc le texte. J’avais moins besoin de cacher ma voix qu’avant, il me semble. »

Et pour y arriver, avoir un bon groupe, c’est bien pratique. Le sien — Cassidy, Martel aux guitares, Sam Beaulé à la basse, Charles-Antoine Olivier aux batteries (et accessoirement à la réalisation des clips) — s’est formé à Val-d’Or après la parution de Cantalou « un peu par hasard, mes musiciens n’étaient pas disponibles » pour un concert au festival FRIMAT. « J’ai alors appelé Alex, il s’y rendait avec Lou, qui m’a aussi offert de me donner un coup de main. On a “jammé” une première fois, et en plus, je voulais seulement chanter de nouvelles “tounes” — Sam avait collé des Post-it au dos de sa basse pour se souvenir des progressions d’accords des chansons ! »

Cantalou brillait de mille éclats pop et rock, l’orchestration comme une boîte à surprises de laquelle rejaillit la chanson-titre et Les amants de Pompéi, deux compositions ayant obtenu un authentique succès populaire, ce qui n’est pas rien si tôt dans une carrière. Sprint !, dirait-on, existe dans une autre dimension, avec ses références esthétiques à l’indie rock de Malajube, aux guitares, acoustiques et électriques, de la chanson des années 1970 — sur Baleine et moi, évocation du funeste périple du rorqual à bosse dans les eaux montréalaises à l’été 2020, Thierry nomme L’été indien de Joe Dassin, Le fou de l’île de Félix Leclerc, Mille après millede Gerry Joly et Ça va ça va de son amie Lou-Adrianne, « parce que c’est une grande chanson et qu’il m’en fallait bien une qui est contemporaine ».

Et pourtant, Thierry s’en fout pas mal, de ces références musicales : « Jamais j’arrive en studio en me disant : OK, celle-là, on la “rocke” [Coeur de lion] ! Ou celle-là, on la fait en bossa-nova [Comme dans mes souvenirs]. Je n’ai aucun attachement aux genres musicaux, depuis le début. La chanson, pour moi, elle existe sur papier ; ensuite, je la montre aux musiciens, et ça devient ce que ça devient en studio assez spontanément. »

Doux et introspectif

Sprint !, résume Larose, « parle davantage de moi, d’où je vis. Avoir 25 ans, à Montréal. Il y a beaucoup d’histoires, avec un début, un milieu et une fin, ce que je n’écrivais pas avant. Il y a beaucoup de portraits, des gens que je connais ou que j’observe, que je décris », comme cette jeune femme tenant le rôle principal de Parfaitement intacte.

Sa Marie-Hélène, dit-il en faisant allusion à la chanson de Lelièvre. Ou encore le personnage de She’s Leaving Home, des Beatles, sur Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967). « Quelqu’un qu’on connaît tous, un composite de certaines filles que je connais. Des vies qui me paraissaient intéressantes à raconter en chanson : on la devine relativement jeune, vivant en ville, pas trop chanceuse en amour. Réservée, mais forte aussi ? Je ne sais pas… J’en connais, des personnes comme ça, je trouve ça beau de les voir aller. Elles m’inspirent. »

« Mais le but du disque, c’est simplement de créer du nouveau répertoire pour le spectacle, poursuit Larose.C’est pour ça qu’il y a beaucoup de chansons enregistrées en une seule prise, sans clic [sans repère de tempo], les voix enregistrées live aussi. » Hormis deux ou trois chansons trouvées sur la seconde moitié de l’album (Parfaitement intacte, Des noeuds dans les doigts, ajoutons aussi Plein prix) qui auraient pu apparaître sur Cantalou, le reste respire d’un autre air doux et introspectif. « Ça adonnait simplement que ces jours-là, lorsqu’on les faisait, on filait tous plus relax. Ou bien ces chansons ne demandaient pas d’interprétation explosive. Anyway, c’est inconscient : le rock, ça arrive, parfois. En show comme en studio. »

Sprint !

Thierry Larose, Bravo musique. Spectacle de lancement aux Francos de Montréal, au Club Soda, le 13 juin.

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