«Riopelle symphonique»: la fête pour les yeux

Réalisé en partenariat avec la Fondation Jean Paul Riopelle et bénéficiant des forces de l’OSM, ce concert multimédia consacre l’indéniable victoire des arts visuels sur la musique.
Photo: Victor Diaz Lamich Réalisé en partenariat avec la Fondation Jean Paul Riopelle et bénéficiant des forces de l’OSM, ce concert multimédia consacre l’indéniable victoire des arts visuels sur la musique.

Le tout Montréal se pressait à la salle Wilfrid-Pelletier jeudi soir pour la grande première de Riopelle symphonique, spectacle sur lequel le producteur Nicolas Lemieux travaille depuis quatre années. Réalisé en partenariat avec la Fondation Jean Paul Riopelle et bénéficiant des forces de l’OSM, ce concert multimédia consacre l’indéniable victoire des arts visuels sur la musique.

L’immense triomphatrice de Riopelle symphonique est Marcella Grimaux. La conceptrice visuelle et responsable de la mise en scène a pris la relève de Gabriel Poirier-Galarneau qui devait initialement porter le projet. La qualité des projections des oeuvres de Riopelle, leur choix et les enchaînements dynamiques sur une configuration de divers écrans à DEL de dimensions variées crée non seulement une narration visuelle épousant le parcours du créateur, mais génère un mouvement et tient l’attention en éveil. La poésie la plus merveilleuse s’invite dans le dernier tableau, « Aeternitas », sur une idée d’envol relayée par les costumes de Marie Saint Pierre.

Au-delà des projections, les cinq sections sont liées entre elles par de courts extraits d’entrevues permettant de lancer les « séquences » par quelques idées fortes ou mots d’esprit de la bouche du peintre et sculpteur. La scène elle-même est baignée de rayons de lumières aux couleurs franches et variées.

Assurément, on peut considérer Riopelle symphonique comme un « son et lumière » mettant un accent dynamique sur l’oeuvre d’un génie. Victoire assurée de l’art visuel sur la musique ! De ce point de vue, le spectacle est un franc succès, tant le « bain oculaire » est source de bonheur et d’émotions.

Régression progressive

Que devait-on attendre de la musique ? Qu’elle soutienne agréablement ce spectacle visuel ou qu’elle tente de se hisser à la hauteur de Riopelle ou, à tout le moins, de le relayer ?

La « plongée au coeur de l’oeuvre de l’artiste » se ferait « au rythme d’une création musicale signée Serge Fiori et Blair Thomson », nous disait-on. Ce tandem a été constitué par Nicolas Lemieux. Il a ensuite engagé l’Orchestre symphonique de Montréal, les Petits Chanteurs de Laval et le Choeur Temps Fort, ainsi que le chef Adam Johnson. On le souligne et le répète : ce n’est pas le projet artistique de l’OSM pour le centenaire de Riopelle. Nous ne savons pas s’il y en aura un autre. Mais l’OSM est ici un prestataire de services.

La précision est importante puisqu’il y a forcément hiatus. Côté arts visuels, c’est la fulgurance d’un génie visionnaire. Côté musical, on parle d’un savoir-faire de type cinématographique qui, par les couleurs originales (steel drum), tâte quelque modernisme dans les deux premiers volets, même s’il tourne en rond dans des répétitions chorales alors qu’on parle d’élan irrépressible et de refus global à la fin de la 1re section.

Le fossé entre Riopelle et Fiori/Thompson se creuse à la moitié du spectacle, à partir du milieu du 3e tableau. Plus on avance, plus on régresse et on a l’impression de se retrouver dans le film Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré, vous savez, le retour des gars direct du Moyen-Âge ! Le cadre sonore des Visiteurs est forgé par le compositeur Éric Levi, par ailleurs éminente cheville ouvrière du groupe ERA, dont l’univers choral New Age imbibe là aussi a posteriori Riopelle symphonique.

Le projet voulait que « tant la création musicale que l’environnement visuel [fassent] écho aux grandes périodes de la vie de l’artiste ». L’environnement visuel oui. La création musicale entendue n’aurait-elle pas pu quant à elle, du moins en large partie, tout aussi bien accompagner un « biopic » de Maurice Richard ou, tant qu’à faire dans la saga historique, de François-Marie-Thomas-Chevalier de Lorimier ?

La trame de Blair Thomson, fort compétente, ne nuit pas à l’agrément du beau spectacle qui se déroule devant nos yeux, mais elle ne saurait être l’objet du déplacement au spectacle ou de l’achat d’un enregistrement. Ce choix esthétique entérine le retour en force sous plusieurs formes de la musique « New Age », la plus visible jusqu’ici étant celle « en creux » ou musique instrumentale adulte sans visée spirituelle (Stréliski, Blais, etc.). De tels spectacles cultivent une forme « en plein », avec choeurs et orchestres. Tant qu’on comprend et qu’on admet que c’est du showbiz et du commerce, sans autres prétentions ni tentatives de kidnappings sémantiques, tout va bien.

Riopelle symphonique

Création musicale de Blair Thomson et Serge Fiori, orchestrée et arrangée par Blair Thomson. Orchestre symphonique de Montréal, Choeur des Petits Chanteurs de Laval, Choeur Temps Fort, dir. Adam Johnson. Direction artistique : Nicolas Lemieux. Mise en scène : Marcella Grimaux (Noisy Head). Conception des costumes : Marie Saint Pierre. Salle Wilfrid Pelletier, jeudi 16 février. Reprise ce soir et samedi.

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