«L’écoute du perdu»: Les pépites de Keiko Devaux

Les ensembles Paramirabo et Musiques 3 femmes s’étaient alliés sous l’égide du Vivier pour créer en fin de semaine, à la Fonderie Darling, L’écoute du perdu, opéra de chambre de Keiko Devaux. Au sein d’une démarche exploratoire de la compositrice se nichent quelques pépites.
Le mandat d’institutions telles que Paramirabo, Musique 3 femmes, dont la directrice artistique, Jennifer Szeto, assurait la scrupuleuse direction musicale du spectacle, et du Vivier est la création. Jeffrey Stonehouse, directeur artistique de Parabirabo et du Vivier, confiait ainsi récemment au Devoir, en marge de la présentation de L’écoute du perdu, son désir de « renouveler le répertoire de l’opéra ».
Quel répertoire ?
La tâche est ardue. Force est de constater, par exemple à travers les créations de Chants Libres, que beaucoup de propositions ont été faites, mais que les choses achoppent sur le terme de « répertoire ». On ajoute inlassablement à une banque de données d’ouvrages, mais seront-ils repris, reproduits, exportés, comme autant de témoins d’un savoir-faire créatif québécois ou canadien ?
Il est évident que l’opéra qui est sorti d’ici, Svadba, doit tout à Ana Sokolovic et au Festival d’Aix-en-Provence et que celui qui est apte à nourrir des ambitions est La beauté du monde, de Julien Bilodeau. Un processus créatif autour dte Keiko Devaux était à la fois légitime et attendu. Pour qu’elle ait obtenu des prix (Opus, Juno) l’an passé, il faut bien une confluence de gens qui aient écouté et estimé ses oeuvres. On serait si désireux de les lire, tous, absolument tous, analysant L’écoute du perdu…
L’opéra est basé sur une série de tableaux sur l’idée, chère à l’inventeur Marconi, que le son ne meurt jamais et imprègne nos mémoires. La première partie de l’oeuvre, qui émerge d’un impact sonore initial, est largement expérimentale. Les voix (3 chanteurs) amplifiées jouent sur la production sonore (souffle, son) tant et si bien qu’on se croirait plongé dans une de ces séances de musiques expérimentales de quelque « groupe de recherche musicale » dans la deuxième moitié des années 1970 ou des années 1980 dans une maison des jeunes et de la culture de la banlieue parisienne. On aimerait convier le jury des Juno au complet pour qu’il savoure ce moment de la compositrice qu’il a primée. Dans l’objectif de Keiko Devaux, il s’agit « d’évoquer la capacité du son et de la musique à suggérer des images et des émotions ». Les images sont directement suggérées dans la mise en scène de Marie Brassard par un écran-canopée, où défilent des projections (arbres, eau, roches, couleurs).
Le lyrisme, soudain
Le trio vocal est mené par la présence solide et investie de Frédéricka Petit-Homme, face à laquelle Raphaël Laden-Guindon tente de s’affirmer, ce à quoi il parvient, avant une conclusion, hélas vocalement plus fruste. Cet équilibre est important, car il mène au coeur du spectacle, le moment convaincant, qui évoque la dimension son/mémoire. Ici la musique, tout en ressac, se fait plus lyrique et porte le chant du duo dans ce qui semble explorer la relation son-endroit. Le temps fort, la pépite absolue de L’écoute du perdu est, ensuite, un grand solo de soprano. C’est sans doute (il n’y avait pas de surtitres et l’obscurité ne permettait pas de suivre les textes) l’exploration du rapport « son/mémoire des êtres » à travers un texte de Michaël Trahan. Hélas la technique vocale de Sarah Albu ne permettait pas de rendre justice aux lignes de ce solo, qui demande une voix plus ample et lyrique.
L’écoute du perdu a été servi par un spectacle d’une belle finition. La partition orchestrale fait la part belle à la flûte, omniprésente, une partie assurée avec beaucoup d’impact (le mot est important dans la relance des vagues sonores de la musique) par Jeffrey Stonehouse.
À l’heure du bilan, on en revient à la notion de répertoire, car s’offre désormais un dilemme intéressant pour la créatrice. D’un côté, un projet artistique cohérent mais parfois expérimental et ardu. De l’autre, au coeur de celui-ci, une dizaine de minutes qui, isolées, pourraient devenir son Lonely Child (monologue de Claude Vivier) à elle, lui permettant de se faire connaître plus largement, avec une autre interprète évidemment. Acceptera-t-elle cette « extraction » alors que la continuité est l’essence même de son projet ?