Vanille, loin d’ici et d’aujourd’hui

En janvier 2021, Soleil ’96, le premier album de Vanille, n’était pas encore paru qu’elle nous en dévoilait déjà la suite : « Je ne sais pas si je devrais en parler tout de suite, mais j’irai vers le folk sixties », nous confiait alors la musicienne. Promesse tenue : lancé vendredi, La clairière révèle une autrice-compositrice dont la plume évoque encore les belles années de Françoise Hardy, mais habillée cette fois de guitares acoustiques, de flûtes et de clavecin, justifiant l’étiquette « folk baroque » qu’elle revendique jusque sur la pochette portant la signature du peintre et illustrateur Kaël Mercader.
« Beaucoup de musique folk de la fin des années 1960 porte une certaine inspiration baroque, voire médiévale, jusque dans l’imagerie des pochettes, explique Vanille. Je suis aussi tombée amoureuse de ces images et de la peinture médiévale, qui a même guidé ma façon d’écrire : je m’imaginais dans un espace et un temps loin d’ici et d’aujourd’hui. »
Or, si Rachel Leblanc était aussi convaincue de sa prochaine destination musicale au moment de lancer son premier album de chansons pop-rock sixties, c’est un peu grâce à un ami, et beaucoup à cause de la pandémie.
L’ami en question lui a fait découvrir l’oeuvre du méconnu Duncan Browne, plus particulièrement son premier album, Give Me Take You (1968), qui, confie Rachel, l’a beaucoup influencée au moment de concevoir La clairière. Musicalement, « ça peut ressembler à ce que faisait Paul McCartney, mais c’est plus magnifique, à mon avis, plus pastoral. Écouter l’album m’amenait ailleurs ». Elle l’a fait écouter à ses collaborateurs avant d’entrer en studio : « Le son des guitares, ce type d’orchestration, je leur ai dit : “Je veux que ça sonne de même !” Je n’ai jamais entendu quelque chose de pareil. »
Réalisé par Andrew Loog Oldham, manager des non moins célèbres Rolling Stones, Give Me Take You fut un flop commercial, poussant le musicien britannique à se réinventer en musicien synthpop dix ans plus tard. Avec le temps, heureusement, ce premier album a été reconnu à sa juste valeur comme un fleuron de cette envoûtante époque de la musique folk britannique de la fin des années 1960, dont Rachel s’est abreuvée durant la grande noirceur pandémique, à la recherche de chaleur et d’évasion. La musicienne cite aussi l’influence d’Ask Me No Questions (1969) de Bridget St. John, amie de Kevin Ayers (Soft Machine), de John Martyn et du célèbre disc jockey et animateur de la BBC John Peel, qui a édité ses trois premiers albums sur son étiquette Dandelion.
Sortir de l’ombre
La clairière « est mon album de pandémie, écrit en 2021, pendant qu’il n’y avait rien d’autre à faire » , explique la musicienne. « C’est pour ça qu’il est plus intime [que Soleil ’96]. On ne pouvait pas alors donner de concerts, ni répéter en groupe, alors j’ai écrit. Dans ma chambre, avec ma guitare acoustique, pour faire changement. Sentant l’angoisse du moment comme tout le monde coincé en ville, je rêvais d’ailleurs. J’imaginais un temps hors de la ville, loin de l’industrialisation, même un monde sans humains : juste la Terre et moi-même. Ça a donné un sens à l’album, plus introspectif, moins juvénile que le premier. Je voulais parler de ma place dans le monde. »
De la cabine d’enregistrement, je pouvais voir le lac et les montagnes. C’était aussi au moment de la première neige ; le passage de l’automne à l’hiver, c’est un peu aussi ça, l’album. Je ne sais pas ce qui s’est passé en moi à ce moment-là, mais j’ai chanté autrement.
La clarté des mélodies, la finesse des orchestrations, contraste avec la plume impressionniste de Rachel Leblanc, qui parle de sa place en peu de mots pour nous laisser le plaisir d’imaginer son monde. L’oppression de la ville évoquée dans La rose (« Ne plus jamais revenir là-bas / Le ciel est désormais / Mon unique amant »), le besoin de se détacher des humains dans Mon petit chemin (« Je dois aller où terre me mène / Loin de la colline de la peine »). Le tout interprété avec la délicatesse de sa voix claire flottant sur les motifs de guitare et qui, vraisemblablement, a aussi charmé la France : après une première scène au MaMA Music & Convention de Paris et au festival bruxellois FrancoFaune en octobre dernier, un concert de lancement de l’album est planifié au mois de mai, encore à Paris.
Retour à la terre
Cette introspection, ce contact avec la nature, elle l’a trouvé au Studio Wild, campé à Saint-Zénon, dans Lanaudière, où Rachel a enregistré les pistes de voix. « De la cabine d’enregistrement, je pouvais voir le lac et les montagnes. C’était aussi au moment de la première neige ; le passage de l’automne à l’hiver, c’est un peu aussi ça, l’album. Je ne sais pas ce qui s’est passé en moi à ce moment-là, mais j’ai chanté autrement. Comme si la nature chuchotait à travers moi. Ouf ! c’est cliché, ce que je viens de dire là ! » lance-t-elle en pouffant de rire.
L’album a enfin pris forme au Pantoum, à Québec. Alors que le brillant Emmanuel Éthier (Jimmy Hunt, Jonathan Personne, Bon Enfant) assurait la réalisation de Soleil ’96, Rachel a porté sur ses épaules son nouveau projet, avec l’aide d’Alexandre Martel (alias Anatole), qui a ses aises dans le studio de la capitale. « J’avais aimé l’album de Lumière qu’a réalisé Martel. J’avais l’intuition qu’il aimerait mes chansons, alors je lui ai envoyé mes démos. » Cap sur le Pantoum pour inventer les précieuses orchestrations de ce non moins chaleureux album.
« De plus, je voulais du clavecin sur mon disque. » Comme sur celui de Duncan Browne ! « C’est brutal, le clavecin, et en plus, il faut accorder ça pour chaque chanson, mais c’est un instrument mythique qui inspire le respect et la grandeur. Je voulais ça pour l’album. Mais où trouver ça, un maudit clavecin ? Ben, il y en a un au Pantoum. » C’est Alexandre Martel qui en joue.
« Tout a commencé avec le clavecin du Pantoum ! » lance la musicienne, qui n’a découvert qu’une fois sa pochette dessinée que c’est le même Kaël Mercader qui avait peint la surface dudit instrument mythique. Toutte est dans toutte, comme disait Raôul.