David Bontemps parie sur l’opéra haïtien avec «La Flambeau»

David Bontemps est un compositeur et musicien impliqué dans la scène jazz, mais qui gagne sa vie essentiellement comme enseignant de piano à Montréal, où il habite depuis 2002.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir David Bontemps est un compositeur et musicien impliqué dans la scène jazz, mais qui gagne sa vie essentiellement comme enseignant de piano à Montréal, où il habite depuis 2002.

Mardi, à la salle Pierre-Mercure, Alain Trudel dirigera l’Orchestre classique de Montréal dans la création d’un opéra de chambre du compositeur canado-haïtien David Bontemps. La Flambeau, inspiré de la pièce de théâtre du poète et dramaturge haïtien Faubert Bolivar, sera présenté dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs à Montréal.

La pianiste Célimène Daudet, en nous présentant son remarquable disque Haïti mon amour en avril 2021, avait vanté les grands mérites de David Bontemps, rencontré au 1er festival de piano en Haïti en 2017, auquel elle attribuait sa découverte du compositeur haïtien Ludovic Lamothe et, de fil en aiguille, la genèse de ses découvertes et de son projet musical : « David Bontemps a joué une pièce de Ludovic Lamothe. C’est grâce à lui que j’ai découvert cette musique. Lui-même la connaissait grâce à son professeur à Port-au-Prince quand il était petit. J’ai trouvé cela magnifique et David Bontemps m’a mise en relation avec la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne du musicologue Claude Dauphin à Montréal. M. Dauphin m’a ensuite envoyé des partitions me permettant de structurer un programme pour faire découvrir cette musique totalement inconnue en Europe. »

Le témoignage de la pianiste franco-haïtienne est important. Cette filiation entre David Bontemps, les pères de la musique haïtienne et la recherche musicologique incarnée ici par Claude Dauphin montre à quel point Montréal est le centre névralgique de la connaissance de la musique haïtienne et, désormais, de créations inattendues.

Antécédents

 

On est surpris en effet de voir la forme lyrique associée au patrimoine haïtien. Interrogé par Le Devoir, David Bontemps, compositeur, musicien impliqué dans la scène jazz, mais qui gagne sa vie essentiellement comme enseignant de piano à Montréal, où il habite depuis 2002, se replonge volontiers dans l’histoire de son pays d’origine. « À l’époque coloniale, on priorisait les pièces qui se jouaient en France. Sous la période haïtienne, au XXe siècle, il y a eu un compositeur moitié haïtien, moitié allemand, Werner Jaegerhuber, qui a laissé deux opéras, Naïssa, opéra initiatique, et Le gouverneur de la Rosée, dont on n’a, hélas, pas encore retrouvé la partition. J’ai eu le plaisir d’enregistrer, en 2008, le cycle de 24 mélodies Offrandes vaudouesques de Jaegerhuber avec Chantal Lavigne, à laquelle mon opéraest dédié. Il n’y a eu depuis qu’un seul autre opéra à ma connaissance, celui d’Iphares Blain, Mariaj Lenglensou, en 2006. Soit trois en tout. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir

Le compositeur et pianiste haïtien David Bontemps en répétition de son opéra avec des musiciens a la Federation Nationale ukrainienne, dans le Mile-End.

Le sujet de cet « opus 4 » s’est imposé très naturellement à David Bontemps. « Faubert Bolivar et moi étions camarades à la Faculté de droit à Port-au-Prince. Et même s’il a fait sa vie en Martinique et moi à Montréal, nous sommes restés en contact. Chaque fois qu’il publie quelque chose, il me l’envoie, et vice versa. En 2013, il a reçu le “prix spécial Paulette Poujol-Oriol et Georges Corvington des Éditions Henri Deschamps” pour sa pièce La Flambeau. Lorsque je l’ai lue, je me suis tout de suite dit qu’il fallait que j’en fasse un opéra, car c’est une pièce très forte avec une très belle intrigue aux fils divers. Mais de 2014 à 2020, je n’ai jamais eu le temps d’écrire quoi que ce soit. »

Puis est venu le moment de s’atteler à cette oeuvre qui dénonce la corruption, la misogynie et l’abus de pouvoir. « En 2020, pour me déconnecter de l’ambiance triste du moment, j’ai composé l’opéra en cinq semaines. » Cet opéra, David Bontemps l’a voulu comme « un huis clos d’une atmosphère suffocante ».

Cordes et maracas

 

L’alliance avec l’Orchestre classique de Montréal s’est faite naturellement : « Ma rencontre avec Boris Brott et Taras Kulish est le fruit du hasard. Mon dernier dîner avant le confinement était avec une amie qui m’a mis en contact avec le directeur de l’Orchestre classique de Montréal. Donc, quand l’opéra a été achevé, Taras Kulish a tout de suite reçu la partition, qu’il a transmise à Boris. Tous les deux ont été enthousiasmés par ce projet. » On les comprend, d’autant que l’orchestration est taillée sur mesure pour leur orchestre : cordes, avec un simple ajout de maracas.

En concert cette semaine

Clavecin en concert présente des quatuors vocaux de Haydn et de Schubert autour du pianoforte de la salle Bourgie, mardi à 19 h 30.

Jordan de Souza vient diriger la 4e Symphonie de Tchaïkovski à l’OSM, à la Maison symphonique, mercredi à 19 h 30 et jeudi à 10 h 30 et 19 h 30.

Jonathan Cohen dirige Alcina de Haendel en version de concert avec, notamment, Karina Gauvin, à Québec jeudi à 19 h 30, et à Montréal samedi à 19 h 30.

Après 20 ans passés à Montréal, notamment dans le milieu du jazz, on se demande quel style adopterait David Bontemps pour son opéra et quelle serait sa part de son retour aux sources. « J’ai essayé d’utiliser quelques rythmes haïtiens, de tradition vaudoue en fait, tels que certains peuples ont pu les préserver à travers cette tradition-là. Je les ai adaptés pour les cordes. Mais ce qui prime pour moi, c’est la clarté de la mélodie, pour que l’on comprenne vraiment ce que disent les protagonistes. Du point de vue harmonique, c’est un mélange tonal et modal, mais c’est accessible et mélodieux. Il y a des airs et des récitatifs, et ces derniers doivent traduire le côté suffocant du huis clos. »

L’opéra met en scène un personnage qui doit faire un discours, sa femme, leur servante et un juge. « Dans la pièce de Faubert Bolivar, il n’y a pas de noms. C’est vraiment Monsieur, Madame, Mademoiselle et l’Homme. Monsieur (un ténor) est l’intellectuel narcissique qui a des ambitions politiques et prépare un discours. Sa femme, avec qui il forme un couple dysfonctionnel, a l’air dérangée mentalement. C’est une mezzo-soprano. Mademoiselle est une soprano et l’Homme, qui apparaît au cinquième tableau, est un baryton-basse. »

A priori, on pourrait penser que l’élément perturbateur, c’est-à-dire Mademoiselle, va intégrer les éléments musicaux les plus typés. « On pourrait dire que Mademoiselle est une tête d’affiche, mais tous les protagonistes ont des rôles principaux ; Monsieur aussi, surtout Monsieur. Et Madame et l’Homme ne sont pas du tout en reste », nous dit David Bontemps, qui a eu carte blanche de la part de Faubert Bolivar pour écrire le livret. « L’opéra est en tableaux. J’ai retranché un tableau pour le résumer en un air et beaucoup de monologues (la pièce comporte de longs monologues) ont été ramassés afin que cela soit plus propice au chant. Mais une fois que le premier tableau était fait, cela coulait de source. J’envoyais mon travail à Faubert Bolivar au fur et à mesure. Il a beaucoup aimé. »

La Flambeau, opéra de chambre en sept tableaux, sera créé mardi à la salle Pierre-Mercure par la soprano d’origine camerounaise Suzanne Taffot, la mezzo-soprano canadienne Catherine Daniel, le ténor canado-jamaïcain Paul Williamson et le baryton-basse américain Brandon Coleman, dans une mise en scène de la Montréalaise Mariah Inger et sous la direction d’Alain Trudel.

Comme pour La beauté du monde, La Flambeau a bénéficié d’une certaine manière des conditions particulières et des retards liés à la pandémie puisqu’un « atelier de création » a eu lieu à l’automne 2021 avec Boris Brott et trois des chanteurs de la distribution, ce qui a permis un travail d’assimilation de la nouvelle oeuvre bien en amont de sa création. Cela servira aussi Atma Classique, qui posera ses micros pour un projet discographique.

Une semaine de créations

La semaine à venir est marquée par plusieurs créations musicales. Samedi offre encore deux occasions, à 15 h et à 19 h 30, de découvrir à la Fonderie Darling L’écoute du perdu, l’opéra de chambre non narratif et expérimental de Keiko Devaux.

Mardi sera créé La Flambeau de David Bontemps. Le lendemain, à l’OSM, Andrew Wan sera le soliste du 2e Concerto pour violon de Tim Brady. Il s’agit d’une commande de l’OSM au compositeur engagé dans une tétralogie d’opéras de chambre sur les problèmes sociaux de notre temps.

Mercredi également, Le Vivier organise à l’Espace bleu de l’édifice Wilder le concert-portrait qui marquera la sortie de la résidence montréalaise de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych. Il fait suite à quatre mois de recherche, conférences, ateliers, compositions et arrangements de cette dernière à Montréal. Seront créés : Quartet, pour quatuor de saxophones, et Song, sur un texte d’Oleh Lysheha pour voix de soprano, percussions et électronique.

Jeudi, au Centre national des arts d’Ottawa, verra enfin le jour la version orchestrale des Songs for Murdered Sisters de Jake Heggie sur des textes de Margaret Atwood. Le projet de Joshua Hopkins, dédié à sa soeur victime d’un féminicide, avait dû être créé en version piano en 2020.

Enfin, vendredi, à la Maison symphonique, nous entendrons le concerto pour thérémine « Cinq moments dans la vie trépidante de Léon Théremine » de Simon Bertrand lors d’un concert dirigé par Daniela Candillari.

La Flambeau

Opéra de chambre de David Bontemps d’après Faubert Bolivar. Avec Suzanne Taffot, Paul Williamson, Catherine Daniel, Brandon Coleman, l’Orchestre classique de Montréal, Alain Trudel. Mise en scène : Mariah Inger. Salle Pierre-Mercure, mardi 7 février, 19 h 30.



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