Des musiques pour Noël

On ne saurait manquer Le chemin de Noël, de La Chapelle de Québec et Bernard Labadie (notre photo), paru en 2021.
Photo: Dario Acosta On ne saurait manquer Le chemin de Noël, de La Chapelle de Québec et Bernard Labadie (notre photo), paru en 2021.

Le grand chef baroque italien Andrea Marcon reconstitue des Vêpres de Noël de Claudio Monteverdi. C’est le titre inattendu de ce millésime 2022 des disques consacrés à la fête de Noël. Mais que cette année nous apporte-t-elle par ailleurs et vers quelles valeurs sûres peut-on se tourner ?

On connaît bien les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, oeuvre de 1610. On associe cette oeuvre à Venise, alors que Monteverdi, né en 1567, n’a accédé au poste de maître de chapelle de Saint-Marc de Venise qu’en 1613.

Voir parmi les disques de Noël 2022 des Vespro di Natale de Monteverdi par une autorité en matière de baroque vénitien, Andrea Marcon, intrigue forcément. De quoi s’agit-il ? Fondamentalement, une élucubration, mais une élucubration intelligente. Il est avéré que Monteverdi a travaillé à des cérémonies de Noël pour Saint-Marc. Partant du concept du faste vénitien et de la période d’activité de Monteverdi à Venise (1613 à 1643), et donc des oeuvres publiées durant cette époque, Marcon a reconstitué un office de vêpres telles qu’elles auraient pu se dérouler à Saint-Marc en se pliant à une pratique qui alternait pièces en solo, grands choeurs et interludes instrumentaux.

Marcon a ainsi recours au recueil sacré monteverdien de la Selva Morale, qu’il encadre de pièces d’orgue de Giovanni Gabrieli, prédécesseur de Monteverdi, et de motets contemporains, dont un superbe Hodie Christus natus est de Giovanni Valentini, histoire de ne pas oublier qu’il y a autre chose derrière cette parution qu’un marketing saisonnier porteur. Tout cela, défendu par 16 instrumentistes et 24 chanteurs de La Cetra et de l’Ensemble vocal de Bâle, est fort beau. Mais cela nous met-il particulièrement dans l’ambiance de Noël ?

Sonorités et recueillement

La question de l’ambiance ne se pose aucunement pour le meilleur cru de ce millésime 2022 : O Jesulein. Un oratorio de Noël du baroque allemand, par l’Ensemble Clematis chez Ricercar. Il s’agit là aussi d’une composition artificielle réalisée par le directeur artistique de Ricercar, Jérôme Lejeune, cohérente en termes d’éloquence musicale et liturgique.

Le parcours suit des étapes : l’Annonciation ; anges ; bergers et adoration à la crèche ; rois mages ; présentation au temple ; Jésus prêche au temple. Le répertoire puise dans la production des prédécesseurs de Jean-Sébastien Bach : Heinrich Schütz, Andreas Hammerschmidt, Franz Tunder, Dietrich Buxtehude et Michael Praetorius, le créateur du célèbre cantique Es ist ein Ros entsprungen. Ces oeuvres vocales en allemand et en latin sont soutenues par une instrumentation discrète, mais faisant l’objet de la plus scrupuleuse attention pour les « couleurs particulières que certains instruments peuvent apporter à ce répertoire ».

Parmi les sons cuivrés, on entend ainsi des krumhorns, puisque Praetorius mentionne leur utilisation dans certains motets, une bombarde basse ou bombardo grosso requise par certaines compositions de Buxtehude. Plus étonnant : « Laraquette, dont le timbre aux couleurs douces était souvent imité par un jeu d’orgue ». Jérôme Lejeune nous apprend que cet instrument « qui deviendra le hautbois au cours du XVIIe siècle apparaît sous le nom de schalmey dans quelques rares partitions en Allemagne ». Lejeune est parti à la recherche d’une copie de schalmey, car la sonorité est associée en général aux bergers de l’histoire de Noël. L’érudition instrumentale du fondateur de Ricercar nous permettra de rappeler au passage que cet éditeur a publié en deux volumes sonores sans équivalent un Guide des instruments de musique, cadeau potentiellement intéressant.

La troisième nouveauté « savante » est un CD d’importation publié chez Deutsche Harmonia Mundi (Sony Classical), Pastorale. Un Noël italien, avec Dorothee Oberlinger et l’Ensemble 1700. C’est un disque principalement instrumental, comprenant toutefois une Cantate de Noël de Scarlatti. Le concept puise dans les inspirations baroques nées de la tradition des piffari (joueurs de fifre) qui, à Noël en Italie, descendaient des montagnes avec cornemuses, vielles à roue, flûtes et vièles rappelant les bergers de la Nativité. Pastorale réunit des oeuvres de Giovanni Guido, Arcangelo Corelli, Alessandro Scarlatti, Antonio Vivaldi, Georg Friedrich Händel et Johann Christoph Pez, et fait partie des excellents CD instrumentaux de Noël.

L’étiquette allemande CPO s’est fait une spécialité de faire découvrir chaque année des répertoires baroques rares. Le compositeur de 2022 est Ernst Wilhelm Wolf (1735-1792), un « baroqueux tardif » actif à Weimar. La notice lui attribue des influences de Carl Philipp Emanuel Bach et Carl Heinrich Graun, promoteurs d’un style préclassique qui mène à Haydn, mais dont on n’entend pas trop les prémices. Disque agréable pour collectionneurs.

Noël populaire

Les disques choraux plus traditionnels sont dominés par deux parutions. The First Nowell, des Edison Singers dirigés par Noel Edison, somptueusement enregistré (la définition de l’orgue !) en Ontario en avril dernier dispense — en anglais — le cadre sonore parfait souhaité pour l’occasion.

Dans une veine plus populaire (ajout de violon, harpe et contrebasse), initialement très joyeux, mais qui sait se recueillir et s’apaiser quand il le faut, et surtout très bien chanté avec une vraie ambiance, un grand bravo à Bis pour le disque norvégien Veni — Songs of Christmas II du Norwegian Soloists’ Choir.

L’éditeur le plus prolifique est Signum avec trois parutions toutes trois très attachées à la Grande-Bretagne. On privilégiera le tendre et recueilli In Winter’s House, de Tenebrae, dirigé par Nigel Short, mais qui apportera un possible doublon du Ceremony of Carols, de Britten, dans votre discothèque. Into the Light, de l’Ensemble Cantus, est beaucoup trop apprêté, et A Pembroke Christmas nous perd à force de vouloir renouveler le répertoire.

On oublie pour cette année les disques de solistes. Sony recycle encore une fois le très médiocre CD de Jonas Kaufmann. Et avec la désorganisation actuelle de Warner sur notre continent, le CD de Noël de Diana Damrau nous arrivera peut-être à Pâques ou à la Trinité.

Mitonner son environnement sonore

De plus en plus de lecteurs consomment la musique à partir de plateformes d’écoute à la demande. Pourquoi ne pas en profiter pour constituer votre liste d’écoute, d’autant que les plateformes permettent l’accès à des productions qui ne sont plus disponibles en CD ? Voici donc dix propositions du fond de catalogue pour un Noël de toutes les couleurs.

En cherchant « Martin Dagenais », on tombe sur En la fête de Noël, le disque clé, enregistré par La Petite Bande de Montréal. On sécurisera en 2e choix le Noël baroque des Musiciens de Saint-Julien, autre proposition francophone.

On ne saurait manquer Le chemin de Noël, de La Chapelle de Québec et Bernard Labadie, paru en 2021, ni Nuit sacrée, un CD paru en 2010 chez Naïve et réunissant le Concerto Köln et Accentus sous la direction de Laurence Equilbey.

 

Au même niveau, plus international, Once as I remember..., du Monteverdi Choir dirigé par John Eliot Gardiner, un ancien disque Philips, notre 5e choix, sera complété par Carols Around the World, du Quink Vocal Ensemble. Ce disque était paru en 1989 chez Telarc, une étiquette depuis longtemps défunte. Mais il est préservé sur les plateformes.

Dans l’esprit du concert de Yannick Nézet-Séguin, donc Christmas Pops, ajoutez à la liste le Dallas Christmas Gala, dirigé par Andrew Litton, chez Delos. Il est assez mal référencé. On pourra le trouver sous Christmas Gala, du Dallas Symphony Chorus.

Autre immense référence de Noël et 8e recommandation : Cantate domino, du Oscars Motettkör chez Proprius, disque légendaire qui a longtemps figuré parmi les prises de son les plus légendaires du catalogue.

Pour finir, nous vous recommandons d’instiller les deux dernières suggestions, québécoises, dans votre liste de lecture pour créer, en écoute aléatoire, une respiration instrumentale. Choisissez donc deux titres parmi le Noël pianissimo, du duo Campion-Vachon (Analekta), le Petit Noël d’Alain Lefèvre (Analekta) et Noël autour d’une guitare (Atma). Attention, ce dernier est répertorié au nom de la hautboïste Sarah Legendre-Bilodeau plutôt que du guitariste Claude Gagnon.

Bonnes Fêtes, et bonne écoute.

Les nouveautés (par ordre de recommandation)

O Jesulein. Un oratorio de Noël du baroque allemandClematis. Ricercar RIC 444.

The First Nowell. The Edison Singers. Naxos 8574475.

Veni — Songs of Christmas II. The Norwegian Soloists’ Choir. Bis 2511.

Monteverdi. Vêpres de NoëlAndrea Marcon. DG, 2 CD 4862977.

Pastorale. Noël baroque italien. Ensemble 1700. DHM 19658745262.

In Winter’s House. Tenebrae, Nigel Short. Signum 690.

Ernst Wilhelm Wolf. Cantates de Noël. Kölner Akademie. CPO 555524-2.



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