Les musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec crient famine

Le métier de musicien d’orchestre nécessite un travail à temps plein, partagé entre une vingtaine d’heures de répétition en groupe et autant à la maison.
Stéphane Bourgeois Le métier de musicien d’orchestre nécessite un travail à temps plein, partagé entre une vingtaine d’heures de répétition en groupe et autant à la maison.

Les musiciens et les musiciennes de l’Orchestre symphonique de Québec (OSQ) crient famine. Sans convention collective depuis deux ans, ils dénoncent publiquement un salaire de base de 33 300 $, qui leur permet à peine de s’élever au-dessus du seuil de pauvreté.

Depuis la signature de la dernière convention collective, en 2015, la rémunération des musiciens et des musiciennes de l’OSQ a augmenté de 1200 $, passant de 32 100 $, il y a sept ans, à 33 300 $ aujourd’hui. Une hausse de seulement 4 % au cours d’une période où l’envol des prix s’avère spectaculaire. Le seul coût d’une livre de beurre, à titre d’exemple, a bondi de 82 % entre 2015 et 2022.

La valeur de l’instrument

Le métier de musicien d’orchestre nécessite pourtant un travail à temps plein, partagé entre une vingtaine d’heures de répétition en groupe et autant à la maison. « C’est impossible d’aspirer à la propriété avec une paie semblable, déplore Mélanie Forget, présidente de l’Association des musiciens et des musiciennes de l’OSQ. L’orchestre ne paie aucun équipement non plus : les vêtements, les instruments, les réparations, tout est à nos frais. »

Les membres de l’orchestre ont fait le calcul : la valeur moyenne de leur instrument s’élève à 48 000 $. La plupart ont étudié pendant plus de 18 ans pour devenir l’élite de leur art. Ils doivent, en plus, acquitter des assurances spéciales dont le prix, en moyenne, atteint 1500 $ par année.

Devant des salaires dérisoires par rapport à d’autres orchestres, plusieurs quittent le navire de la capitale pour voguer vers d’autres métiers ou d’autres ensembles. « À l’Orchestre symphonique de Montréal, le salaire de base d’un musicien, c’est 93 000 $, indique Mme Forget. Ici, nos musiciens quittent l’entreprise depuis 2015. Ce sont des artistes chevronnés, au faîte de leur art, qui partent parce qu’ils n’arrivent plus à gagner leur vie ou à payer leur instrument. »

La dernière convention collective remonte à 2015. À l’époque, l’OSQ cumulait un déficit de 2,7 millions de dollars, et les musiciens avaient consenti à sacrifier leurs conditions de travail pour assurer la pérennité de l’orchestre, perdant deux semaines de salaire dans l’aventure.

33 300 $
C’est le salaire de base des artistes de l’Orchestre symphonique de Québec, qui, disent-ils, leur permet à peine de s’élever au-dessus du seuil de pauvreté.

« À l’échéance de cette convention, la pandémie a frappé, et tous les orchestres du monde se battaient pour leur survie, rappelle Mélanie Forget. Nous avons donc accepté de laisser la convention ouverte et de fonctionner selon les conditions sur la table. Nous sommes entrés en négociation en janvier 2022 avec confiance, sachant que l’orchestre avait comblé son déficit. Depuis, ça piétine : rien n’avance. »

Selon la musicienne, active avec l’OSQ depuis 1998, l’orchestre de la capitale arrive à un moment charnière. « Le plus triste, c’est de voir les jeunes se joindre à nous, tout contents d’avoir traversé un processus de sélection extrêmement rigoureux. Leur enthousiasme fond dès le premier chèque de paie, quand ils constatent que leur salaire ne leur permet pas de rembourser leur instrument et leurs études ou de financer un logement décent. »

Le gouvernement du Québec, la Ville, les partenaires et les donateurs privés garnissent les coffres de l’OSQ, en plus des revenus tirés de la vente de billets et des abonnements. Le plus récent rapport annuel de l’OSQ affiche un surplus de 540 000 $ pour la saison 2020-2021. Les dons issus de la philanthropie ont également atteint un sommet au cours de la dernière saison, se hissant à une valeur de 250 000 $. 

Sur la place publique

L’administration de l’OSQ assure, par courriel, qu’elle « cherche véritablement à améliorer les conditions de travail de ses musiciens, tout en demeurant prudente et en respectant sa capacité de payer ». Elle souligne que, « contrairement à une majorité de musiciens au Québec », ses artistes sont salariés et jouissent d’« un revenu garanti pendant 31 semaines. »

Les musiciens et les musiciennes s’expriment désormais sur la place publique, fait rarissime dans le milieu de la musique classique, pour mettre en lumière les sacrifices consentis au fil des années — et demander un rattrapage salarial devenu nécessaire pour assurer l’avenir de l’orchestre.

« Avoir un musicien qui joue dans un orchestre, au Québec, c’est un joyau dont il faut prendre soin, conclut Mélanie Forget. Or, c’est tout le contraire en ce moment à Québec. Depuis 2010, nous n’avons eu que des pertes salariales pour résorber les déficits. Nous aimons notre métier, nous voulons continuer à le faire — mais pas à n’importe quel prix. »

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